Les Idoles
C'est Bernard-Marie Koltès qui ouvre le bal des maudits en 1989, six ans avant un autre dramaturge, Jean-Luc Lagarce. Entretemps, le Sida emporte également Jacques Demy, puis le romancier Hervé Guibert. "Et toi, t’étais la promo de Freddie Mercury ?", demande Cyril Collard, le réalisateur des Nuits Fauves, chopé par le virus en 1993. "Non, la promo Anthony Perkins», lui répond le critique de cinéma Serge Daney, victime effectivement de la même maladie un an plus tôt...
Entre humour et chagrin, la démarche de Christophe Honoré se veut la réplique tout aussi émue de Nouveau Roman, en 2012, quand le cinéaste-dramaturge faisait revivre une sacrée bande littéraire: Duras, Robbe-Grillet, Sarraute et autres Claude Simon... Aucun hiatus, à ce moment là, entre le fond et la forme. La fantasmagorie espiège dans laquelle se lovait la pièce et la distance spectaculaire entre comédiens et modèles originels rendaient bien justice, au final, à la raison d'être du Nouveau Roman: soif de nouvelles formes, rébellion face à tout formatage.
Les Idoles, c'est plus compliqué. Déjà parce qu'aucune réalité collective ne précède ce portrait de groupe. Le Nouveau Roman a préexisté à la pièce d'Honoré. Ici, on a droit à un patchwork ex nihilo dont les segments se croisent et ne font sens qu'au travers de la sexualité et de la fin tragique de leurs protagonistes. Le procédé sent vite l'artifice, le rétrécissement et aussi, quelque part, la mutilation.
Voilà ainsi Jacques Demy résumé à son refus d'assumer son homosexualité et à la dissimulation par sa compagne, Agnès Varda, des vraies raisons de sa mort. Voici Daney si princier, si enragé aussi contre tout ce qu'un certain cinéma français pouvait avoir de vichyssois (on se rappelle encore comment Nicolas Bouchaud l'avait campé dans La Loi du Marcheur...), transformé en homo benêt, limite tête de turc. Que devient le blues profond de Koltès magnifié jadis par Brigitte Salino dans cette silhouette de petite frappe parodiant Travolta dans La Fièvre du samedi soir ? La prose d'Hervé Guibert, enfin, ne méritait-elle pas une gestuelle moins atone que le jeu de Marina Foïs qui est en charge de ce personnage ?
Jacques Demy aussi est joué par une femme, Marlène Saldana. Une fois digéré l'épisode Varda, sa présence finit par nous convaincre à travers quelques beaux morceaux de bravoure: son imitation de Liz Taylor ramassant des fonds pour le Sida et parlant surtout d'elle-même, sa chorégraphie déjantée sur l'une des chansons des Demoiselles de Rochefort dont le sens nous apparaît désormais tout autre ("Toujours les types pressés, toujours des amours brèves"...), ou encore cet échange savoureux sur le cinéma de Demy vu par les bourgeois -"L'immaculée Conception sur un air de jazz"...
Autre alliage réussi entre émotion et fantaisie, la séquence Cyril Collard recevant pour de vrai ce qui ne fut qu'un César posthume. Le reste, malheureusement, est trop disparate, inégal ou superficiel, sans parler des quelques accès de gaudriole dont on aurait parfaitement pu se passer, surtout en souvenir du miracle de pudeur que Christophe Honoré a signé récemment sur grand écran.
Les Idoles, Christophe Honoré, Théâtre de l'Odéon (Dernière représentation, ce soir, 2 février)