Mardi 27 novembre 2012 par Ralph Gambihler

Nouveau Roman

Difficile de trancher sur qui est la plus sexy. La blonde ou la brune ? La fille aux talons aiguilles ou la miss au pantalon rouge ? Nathalie Sarraute ou Marguerite Duras ? On l'aura compris : en revivifiant l'épopée du Nouveau Roman à sa façon espiègle et virevoltante, Christophe Honoré invite le public du théâtre de la Colline à des questionnements surprenants mais pas si anodins qu'ils en ont l'air lorsqu'il s'agit d'apprécier l'une des aventures littéraires les plus importantes du 20e siècle.

Le réalisateur des "Biens Aimés" ne s'est pas seulement contenté, à vrai dire, de dépoussiérer les vénérables statues rassemblées à la fin des années 50 aux Editions de Minuit. Il les remaquille, ou plutôt il leur offre une nouvelle peau. Celle de Ludivine Sagnier, par exemple... Nathalie Sarraute se rêvait comédienne ? Eh bien soit ! Ludivine sera une Sarraute en virtuel et la délicieuse Anaïs Dumoustier en fera de même en ré-incarnant Marguerite Duras en garce cérébrale. Claude Simon, de son côté, fêtera son Nobel de littérature en reprenant, guitare en bandoulière, "La Cavalerie" de Julien Clerc, tandis qu'Alain Robbe-Grillet se pavanera sur scène en bermuda,  genre moniteur de colo aussi vantard et roublard que mal assuré de son autorité, y compris à l'égard de sa fantasque et craquante épouse...

Ces partis pris n'ont rien d'une galéjade... La fantasmagorie théâtrale qui en découle traduit, au contraire, la soif de déstructuration et de nouvelles formes qui taraudait une génération d'écrivains allergiques à tout formatage, qu'il soit d'ordre psychologique ou naturaliste. La pièce n'élude rien, par ailleurs, des rivalités internes et des egos hypertrophiés dont l'époque fut prodigue. De quelle manière articuler le "je" et le "nous" dans une période aussi stimulante sur le plan des idées que politiquement troublée ? Comment faire bande à part tout en faisant cavalier seul ? Ces questions enfiévrèrent pareillement, on le sait, la Nouvelle Vague, jusqu'à cette rupture historique que Truffaut et Godard déguiseront en conflit politico-existentiel quand il était aussi question, entre eux, de libidos contrariées...

Christophe Honoré a bien raison, finalement, de rappeler à quel point une épopée intellectuelle est d'abord une formidable aventure humaine. Près de trois heures durant, ses austères qui se marrent (et qui chantent ! Et qui dansent !!) nous emportent dans un spectacle aussi tordant que jubilatoire, et le coeur se serre à la fin  lorsque les décès des uns et des autres enterrent en cascade toute une époque... De quoi rabattre le bec à tous ces faux modernes acharnés, par la suite, à disqualifier les avant-gardes qui les avaient précédés pour mieux justifier la résurrection de formats anciens.

"Nouveau roman", de Christophe Honoré, au théâtre de la Colline, à Paris, jusqu'au 9 décembre. Coup de projecteur avec Ludivine Sagnier, ce jeudi 29 novembre, à 12h30, sur TsfJazz.