Kinds of Kindness
On avait quitté Yorgos Lanthimos en mauvais termes. Son Pauvres créatures sorti cet hiver avait en effet tout de la boursouflure vulgaire et empaillée autour d'une Emma Stone se libérant à sa manière des carcans victoriens. À moins de s'appeler Lars Von Trier, l'émancipation par le trottoir ne peut qu'empoussiérer encore davantage des univers déjà bien avariés, à commencer par celui du réalisateur grec de Mise à mort du cerf sacré. Changement de style avec le sardonique Kinds of kindness dont le titre, tout en ironie, renvoie à des noirceurs étrangement plus jubilatoires sur un plan stricto-cinématographique.
Premier atout, un esprit de troupe assez revigorant dans cette succession de trois récits dont les interprètes, parmi lesquels on retrouve Emma Stone, Jesse Plemons et Willem Dafoe, jouent à chaque fois des personnages différents. Le premier segment met en scène un employé complètement soumis à son patron (y compris dans la gestion de sa propre vie conjugale...) jusqu'à un premier acte de désobéissance synonyme pour lui de descente aux enfers. Le second volet, tout aussi paranoïde, expose les tourments d'un policier confronté au retour de sa femme disparue en mer sauf qu'il a de plus en plus l'impression que c'est une autre dulcinée qui lui retombe dans les bras. La triade se conclut sur une secte dont les membres cherchent la personne idéale pour ressusciter des cadavres.
Pauvres créatures, décidément, sauf que les accompagne désormais une mise en scène au scalpel, avec dans ses géométries une forte tonalité "kubrickienne", façon Eyes Wide Shut. Les notes de piano minimalistes et angoissantes de György Ligeti sont d'ailleurs au rendez-vous, ainsi que des ersatz de chants grégoriens. Lanthimos saupoudre également l'ensemble de quelques effets gores et d'une scène de vidéo X qui en renforcent, peut-être à son insu, le caractère ludique. On a un peu de mal, à vrai dire, à partager les cauchemars métaphysiques du cinéaste sur les thèmes de l'emprise et du libre arbitre, malgré la très forte présence (couronnée par un prix d'interprétation à Cannes...), de Jesse Plemons qu'on avait déjà adoré dans The Power of the dog de Jane Campion.
Et Emma Stone dans tout ça ? Eh bien elle continue de s'amuser, de façon moins dévergondée, certes, que dans Pauvres créatures, mais avec toujours cette prime à la fantaisie qui rend en ce moment ses performances à l'écran plus ou moins vaines. En témoignent ses pas de danse dans le dernier des trois récits où elle se plait également à foncer à tombeau ouvert au volant de sa voiture... Pour le reste, rien de suffisamment passionnant ici pour que le spectateur fasse l'effort de démêler les fils et les éventuelles correspondances entre les trois segments d'un film qui dure quand même 2h45... On se contente de l'apprécier à distance.
Kinds of Kindness, Yorgos Lanthimos, prix d'interprétation masculine à Cannes pour Jesse Plemons, en salles depuis mercredi.