Samedi 29 juillet 2023 par Ralph Gambihler

Oppenheimer

L'Amérique, la bombe atomique, le maccarthysme... Difficile de ne pas se surpasser avec une telle trinité. Encore une fois, hélas, Christopher Nolan en fait une machinerie sans âme alors qu'on était prêt à passer l'éponge après les pénibles Inception et InterstellarProméthée du feu nucléaire dévoré par sa conscience, idéaliste mettant les mains dans le cambouis, héros américain avant qu'une furia anti-rouge ne le recouvre de tous les maux, Robert Oppenheimer avait pourtant tout de l'être de chair et de combats. Le client idéal, en somme, pour un Nolan à visage humain.

Le style velu et tarabiscoté de la mise en scène dessine de fait une toute autre trajectoire. Au risque de la rendre difficilement compréhensible, Nolan l'enrobe de trop de personnages et de blabla indigeste. Pire encore, ces allers-retours incessants entre la période de construction de la bombe, le passage du savant campé sans relief par Cillian Murphy devant une commission manigancée par l'un de ses adversaires qui l'accuse de sympathies communistes, et la mise en accusation de ce même adversaire devant une autre commission quelques années plus tard.

Le réalisateur a beau passer comme il l'entend de la couleur au noir et blanc, on reste dans le brouillard. Quelle est exactement la nature de l'antagonisme entre Oppenheimer et ce Lewis Strauss campé de manière caricaturale par Robert Downey Jr ? Rivalités personnelles entre scientifiques ? Divergence sur la bombe H. plus destructrice encore que la bombe atomique, jusqu'à réveiller chez Oppenheimer des tourments jusqu'ici enfouis, lui qui portait sans complexe l'uniforme à Los Alamos où il dirige à partir de 1943 le fameux projet Manhattan ? A ce point fumeux et fastidieux, le propos rend encore plus dispensable l'importance dans le film donnée à Strauss.

A contrario, deux personnages féminins pourtant cruciaux dans le parcours du physicien sont à peine esquissés. Jusqu'à verser d'ailleurs dans l'incohérence pure, à l'image de l'épouse d'Oppenheimer décrite tour à tour comme une alcoolique puis comme une femme lucide et à poigne. Tout n'est pas à jeter, certes... Dans la peau du roublard mais intègre général Leslie Groves, le chef militaire du projet Manhattan, Matt Damon sort nettement du lot. La rencontre à la Maison-Blanche avec le cynique Truman (Gary Oldman) nous sort pareillement de la léthargie, tout comme le moment Trinity avec son compte à rebours haletant lors du premier essai de la bombe atomique.

Belle trouvaille de mise en scène également lorsqu'après Hiroshima et Nagasaki que Nolan a décidé de ne pas filmer, Oppenheimer est traversé en plein discours patriotique par des flashs de destruction radioactive. Il reste que sur trois heures de film, la moisson est bien maigre. Dans sa volonté de casser les codes du biopic -mais n'est pas Pablo Larrain qui veut- et au gré d'une rythmique artificiellement infernale, Nolan ne produit en nous que distance et extériorité, tant vis-à-vis de son personnage que de son écriture.

On rêve de ce qu'aurait fait Clint Eastwood d'une telle odyssée, lui dont l'expérience est tout autre lorsqu'il s'agit de dialectiser héros et anti-héros. On se rappelle encore comment, dans J.Edgar, il mélangeait pareillement les époques à travers un vertige de fondus enchaînés. Sa mise en scène était heureusement moins gesticulante, et surtout elle permettait peu à peu de nourrir de complexité son personnage principal. Le Oppenheimer de Nolan, au contraire, l'évide peu à peu, à l'instar du teint cireux que prend son Prométhée dévitalisé à la fin du film.

Oppenheimer, Christpher Nolan, en salles depuis le 19 juillet.