J.Edgar
Après un Au-delà de sinistre mémoire, Clint Eastwood revient sur terre. Il retrouve surtout ce qu'il sait si bien filmer: l'âme américaine, son histoire mouvementée et sa mythologie particulière... Le prodige est d'autant plus palpable, à l'écran, qu'il s'appuie sur une figure qui n'a rien d'héroïque, celle de l'ancien patron du FBI, J.Edgar Hoover, dont les délires paranoïdes, racistes et anti-rouges ont en même temps magistralement nourri, dans le passé, des romans comme "La Malédiction d'Edgar", de Marc Dugain, "Un Pays à l'aube", de Dennis Lehane, ou encore "Underworld USA", de James Ellroy...
C'est avec ses références à l'esprit, et aussi en souvenir de certaines oeuvres très engagées du réalisateur de Bird, Invictus ou Mémoires de nos pères, qu'on subodore une nouvelle charge féroce contre l'infâme Edgar... Sauf que l'ami Clint, malin comme il est, a décidé de pas être là où l'on attendait. Tournant le dos au "biopic" traditionnel, il adopte -ou plutôt il fait semblant d'adopter- le point de vue de l'ancien patron du FBI sur son propre parcours à travers les mémoires qu'il dictait à la fin de la sa vie...
De manière tout aussi décalée, le cinéaste met l'accent sur la lutte de J.Edgar Hoover contre le crime organisé (notamment lors du rapt du bébé de Charles Lindbergh) et non pas sur les complots politiques auxquels il a participé. Enfin, avec l'aide du scénariste d' Harvey Milk, Clint Eastwood explore les relations pour le moins ambigües entre l'ancien patron du FBI et son adjoint, ce qui a fait rugir, au passage, le président de la fondation J.Edgar Hoover qui a carrément accusé Eastwood d'être passé de "Dirty Harry" à "Dirty Harriett"...
Calembour douteux, mais aussi révélateur... En feignant de l'humaniser, et en disposant pour cela du pouvoir d'incarnation exceptionnel de Leonardo DiCaprio dans ce qui est sans doute le rôle de sa vie, Clint Eastwood réduit en miettes, paradoxalement, le profil de celui qui se voulait l'homme le plus puissant d'Amérique. Son Edgar n'est qu'un mythomane en quête de virilité qui joue les shérifs et qui finalement ne contrôle pas grand chose... Pour solder son rapport avec le réel, il n'a pas d'autre solution que de concentrer les pouvoirs jusqu'à se confondre avec un appareil d'Etat dans ce qu'il peut avoir de plus monstrueux. C'est ainsi que Clint Eastwood déroule le mythe puis, peu à peu, le "vrai" J.Edgar Hoover, ce qui l'amène, pour la première fois, peut-être, dans sa filmographie, à "imprimer", la réalité et non plus la légende, contrairement à son maître, John Ford...
Le propos est d'une subtilité aussi redoutable que la mise en scène, à la fois austère et définitivement vertigineuse dans la façon de mélanger les époques ("J.Edgar" est un festival de fondus enchaînés...), de faire le lien entre un homme et son environnement (ou comment, en parallèle à J.Edgar Hoover, l'acteur James Cagney s'est métamorphosé en homme de loi après avoir campé les ennemis publics No 1), et de brosser les rêves et les cauchemars d'une Amérique dont Clint Eastwood reste l'impérial conteur...
J.Edgar, de Clint Eastwood (Sortie en salles le 11 janvier)