Jeudi 30 janvier 2020 par Ralph Gambihler

Arnaud Desplechin au théâtre

Au creux des années Reagan, à New-York, deux couples de trentenaires se sabordent à l'ombre du Sida et de l'homosexualité refoulée que l'époque impose. Un cinquième larron tout aussi refoulé mais d'âge plus mûr se meurt également du VIH sans qu'on le pleure vraiment tant le personnage est infect. Ainsi résumé, on n'a pas encore tout dit du bien copieux Angels in America créé par l'Américain Tony Kushner en 1990. Il y est aussi question du judaïsme, des Mormons, de l'affaire Rosenberg, d'un voyage en Antarctique et de la fin de l'ex-URSS. Quel patchwork !

Le Polonais Krysztof Warlikowski en avait fait un feu d'artifice scénographique il y a une douzaine d'années sur la scène du Rond-Point sans vraiment parvenir à surfer sur la lourdeur du propos. Les personnages de Angels in America sont des archétypes: l'amant gay sacrifié, le jeune marié qui ne veut pas s'avouer qu'il préfère les hommes, la ménagère sous médocs, l'avocat ordurier... Destins épiques, mais alors côté finesse psychologique, mieux vaut passer son tour.

Qu'une telle pièce entre dans le répertoire de la vénérable Comédie-Française n'est cependant pas anodin. Surtout lorsque c'est Arnaud Desplechin qui est aux manettes. Oublié, son plantage de Père, cette pièce également bien vieillotte qu'il avait mise en scène il y a cinq ans au même endroit. Ici, il raccourcit, il fluidifie, il ose faire voler des anges (des vrais, ou presque !) dans la Maison de Molière, et le spectacle se suit sans déplaisir avec des décors en "split screen" où se devine l'emprunte d'un grand cinéaste.

Côté interprétation, ce sont les éléments les mieux rodés de la troupe qui tirent le plus leur épingle du jeu, à commencer par Michel Villermoz dans le rôle du "méchant", cet avocat homo et homophobe nommé Roy Cohn qui a réellement existé et qui a fini par conseiller un certain Donald Trump à ses débuts. Impérial et shakespearien Villermoz, surtout lorsque la non moins impériale Dominique Blanc lui donne la réplique en incarnant le fantôme d'Ethel Rosenberg, cette militante communiste américaine que Roy Cohn avait contribué autrefois à envoyer sur la chaise électrique avec son époux, Julius Rosenberg.

Il reste qu'au-delà de ces quelques morceaux de bravoure, l'ensemble manque de sève. Même sentiment d'un temps arrêté dans l'adaptation que Julie Deliquet vient de signer à l'Odéon-Berthier du Conte de Noël, l'un des films les plus savoureux d'Arnaud Desplechin. Le vernis "tchekhovien" dont Julie Deliquet manie avec brio l'expertise ne suffit pas, ici, à dissiper l'impression d'un propos daté.

Angels in America, Arnaud Desplechin, à la Comédie-Française, à Paris, jusqu'au 27 mars. Un Conte de Noël, Julie Deliquet, Ateliers Berthier de l'Odéon, jusqu'au 2 février.