Père
Entre Strindberg et l'enfer du couple, c'est une vieille histoire d'amour... Ses plus belles pièces en témoignent: Mademoiselle Julie, Les Créanciers et surtout La Danse de Mort où un capitaine au bord de la folie lance à sa épouse "Ne vois-tu pas que tous les jours nous répétons les mêmes choses ? Toutes ces vieilles répliques éculées !"...
Pour ses premiers pas au théâtre, Arnaud Desplechin s'est trompé de capitaine, et c'est bien dommage. Celui qui affronte son épouse sur la scène de la Comédie-Française appartient à une œuvre de jeunesse du dramaturge suédois, Père. Le texte, à vrai dire, nous apparait furieusement daté. Furieusement misogyne, également. Dans ses pièces de maturité, Strindberg donnera à cette misogynie un tour plus ambigu et plus complexe, mais ici, la guerre des sexes est en noir et blanc. Un vieux bourgeois et son épouse se déchirent sur l'éducation de leur fille. La mère ne se laisse pas faire. Elle laisse entendre à son mari qu'il n'est peut-être pas le père de l'enfant. L'autre en devient dingue jusqu'à se voir imposer la camisole de force grâce à une ruse de sa vieille nourrice.
L'odieuse solidarité féminine en action ? À ce récit suranné fait écho une mise en scène pareillement old school. Une bibliothèque en guise de décor, une musique un peu angoissante en sourdine, des directions d'acteurs plutôt qu'une direction d'acteurs (Michel Wuillermoz tout en colère rentrée et en fêlures qu'il semble porter jusque dans ses entrailles, Anne Kessler en plein pathos, geignant deux tons trop haut jusqu'à enlever à son personnage l'intensité diabolique requise)...
strong>Desplechin a beau avoir parlé de Bergman à ses comédiens pendant les répétitions, on est bien loin de Cris et Chuchotements. Vieux cinéma (on ne s'est pas encore remis de la cruelle déception de Trois souvenirs de ma jeunesse), vieux théâtre... 2015 est décidément une année bien grise pour Arnaud Desplechin.
Père, d'August Strindberg, mis en scène par Arnaud Desplechin à la Comédie Française (Jusqu'au 4 janvier 2016)