Dimanche 10 juin 2012 par Ralph Gambihler

Juliette Binoche dans Mademoiselle Julie

On a grandi avec Juliette Binoche. De "Rendez-vous" à "Mauvais sang", de "L'Insoutenable légèreté de l'être" à "Paris", elle fait partie de nos icônes, avec ce cocktail d'exigence, de féminité et de sincérité singulièrement résistant aux années qui passent. Dans sa loge du théâtre de l'Odéon, par un beau samedi de printemps, la voilà qui se penche, au micro de TsfJazz, sur Mademoiselle Julie, le personnage qu'elle incarne tout en frémissements depuis maintenant trois semaines sous la direction de Frédéric Fisbach, et on est encore une fois subjugué par sa maturité.

On a encore en mémoire les beaux instants de silence dans le flux du texte, "ces moments de rien, ces temps d'attente", selon la comédienne, comme autant de strates avant le crépuscule de l'âme puisque tout, ici, se passe en une seule nuit. On se souvient aussi de ces fondus au noir rythmant l'affrontement, l'entrelacement et les blessures que vont s'infliger la fille d'aristo et son domestique campé par le toujours impérial Nicolas Bouchaud.

Au départ, la scénographie ultra-contemporaine les enferme dans une sorte de loft-aquarium qui a ulcéré les critiques l'été dernier en Avignon. Ce décor high tech (du moins dans le 1er acte) a pourtant le mérite de cerner l'un des enjeux essentiels de la pièce de Strindberg, comme si la question de la liberté -"mise sous verre", ici, par les conventions, les hypocrisies et les névroses propres à chacun des personnages-primait sur celle du désir.

Le décor change, de toute façon. Les vitres glissent, s'ouvrent... Le plateau se dénude comme la nuit qui tombe. "Elle va avoir une vraie descente, mademoiselle Julie", nous dit Juliette Binoche. Elle en perdra ses moyens, son honneur, son pouvoir de manipulation. Au départ, elle n'est qu'un atome confus en état d'abandon, hantée par le suicide de sa mère et les faiblesses de son père. Son côté agressif, rentre-dedans, masculin presque, séduit et perturbe à la fois son amant d'une nuit. La suite s'inscrit en vertical. Julie "descend" du haut de sa colonne. La comédienne a de jolis mots pour évoquer cette descente: "C'est comme si elle voulait être plus proche de sa peau, de qui elle est, de cet en-soi au fond de nous. Elle a quelque chose d'un Hamlet au féminin"...

Au cours de l'interview,  Juliette Binoche fait à plusieurs reprises référence à ces "labyrinthes intérieurs" et autres "étages inférieurs de connaissance de soi" qu'une actrice et une femme doit à la fois posséder et remettre en question, à chaque instant, pour pouvoir encore se laisser surprendre à son insu, sur scène comme dans la vie... "Le temps nous donne une connaissance de nous-même qui est plus vraie", conclut-elle, avant d'ajouter "normalement...", comme une ultime échappée au pays de Juliette ou la clé des songes... On comprend mieux, du même coup, pourquoi sa "Mademoiselle Julie" fera date.

"Mademoiselle Julie", d'August Strindberg, mis en scène par Frédéric Fisbach au Théâtre de l'Odéon, à Paris, jusqu'au 24 juin. Coup de projecteur avec Juliette Binoche, sur TsfJazz, lundi 18 juin, à 7h30, 11h30 et 16h30.