Illusions
Jamais là où on l'attend, Ibrahim Maalouf. Il se la joue caïd, à présent, sur la pochette de l'album ! Costard blanc, chaussures dorées. Autour de lui, des créatures interlopes ainsi qu'une gamine un peu désemparée. On dirait qu'elle va servir de cobaye à un tour de magie. Autre bizarrerie, ce bugle à la main droite. Mais elle est passée où, la trompette à quarts de ton ? Il a baptisé ce nouvel album Illusions, évidemment... Jolie manière de suggérer qu'il n'a rien perdu de son authenticité. Ou en tout cas qu'elle va vite revenir au galop, à l'instar de cette première phrase dans les notes de livret: "L’envie de traiter le thème de l’illusion m’est apparue dès ma première désillusion"...
Il est là, le musicos qu'on connait et qu'on reconnait. Ibrahim le humble. L'intégrité incarnée. Aussi bien dans le lyrisme tourmenté de Diagnostic que dans la ferveur apaisée de Wind et, désormais, dans l'explosion électrique d'Illusions. Inclinaison rock, certes, mais d'abord éloge du réactif transfiguré en offrande dés le premier jet: les nappes de guitare peu à peu amplifiées (François Delporte), la douceur du clavier (Frank Woeste), puis l'explosion avant ce solo aérien dont Ibrahim Maalouf a le secret...
Construit directement pour la scène, l'album se déploie dans le festif, la jouissance immédiate, le spectaculaire. L'illusion en étendard, mais jamais au détriment de l'âme. Plutôt comme un antidote à la déprime. Rien à voir avec un jazz de laboratoire, même si l'alchimie est encore au rendez-vous. Ces trois trompettes, par exemple, qui viennent rugir en front line derrière le bugle. Une vraie académie à quarts de ton. Un beau post-scriptum, aussi, au Questions & Answers de l'avant-dernier album: ça s'interpelle, ça se répond... Le bugle, c'est d'Artagnan. "Un pour tous, tous pour un", trompettisent en écho les trois autres mousquetaires (Youenn le Cam, Martin Saccardy, Yann Martin) sur Inpressi, véritable sommet du disque.
Busy, c'est autre chose. Le seul titre de l'album, peut-être, où le tour de magie tourne soudain au ralenti. Où le tremblé se met à suinter. Inspiré de la tonalité d'un téléphone sonnant dans le vide, le morceau rappelle un peu la transe de Beyrut, titre-phare de Diagnostic. Comme un parfum de Bitches Brew oriental et désorienté avec ses effleurements et ses cassures... Une assomption pour finir: True Story ou la ballade du vieil homme qui, avant son dernier souffle, visite tous ceux qu'il a offensés pour leur demander pardon. La plus belle des illusions, selon Ibrahim Maalouf. Mais aussi l'un de ces rêves fous et éveillés qu'on aime tant partager avec lui.
Illusions, Ibrahim Maalouf (Mi'ster Prod/Harmonia Mundi)