Bitches Brew ou le jazz psychédélique
Il ne paie pas de mine, Matthieu Thibault, lorsqu'il débarque à TsfJazz pour nous relire "Bitches Brew" à l'aune de sa culture rock et de son look cyberpunk. Ça tombe bien. Les lorgnettes ultra-jazzeuses pour apprécier la force d'éblouissement du plus bel album de Miles Davis (avec "Kind of Blue", évidemment...), c'est un peu limite. Contextualiser, en revanche, comme le fait le jeune musicologue, la révolution sonore de l'an 69 dans ce que l'époque avait de plus électrique est autrement plus opérationnel.
Dans "Bitches Brew ou le jazz psychédélique", paru aux éditions Le Mot et le Reste, Matthieu Thibault montre comment, avec l'aide de son précieux producteur, Teo Macero, Miles est parvenu à métisser textures et influences rock, funk et soul pour faire naître un groove unique, à la fois expérimental et dansant. Ces influences, on les connaît évidemment: James Brown, Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone... Mais aussi Betty Mabry, la muse du trompettiste à l'époque. Chapitre excellent. La jeune chanteuse ne renouvelle pas seulement la culture de Miles. Elle le réhabille, dans tous les sens du terme, reléguant au vestiaire le costard jazzy black & white des sixties pour des tenues plus colorées.
Une révolution comportementale qui, dans le même temps, ne concède rien aux codes plus ou moins acides et destroy qui embrasent l'époque. Miles Davis, après tout, n'aura jamais été aussi clean que dans sa phase psychédélique. Mais le plat de résistance du livre, évidemment, c'est l'enregistrement du disque. Déjà, dans "In a Silent Way", le tandem Miles/Macero procédait par segments et découpages post-studio. "Bitches Brew" pousse encore plus loin l'expérience, utilisant le studio d'enregistrement lui-même comme une sorte d'instrument. C
C'est l'autre emprunt -et il est de taille- à la culture rock. Les sidemen de Miles évidemment sont décontenancés. Ils ne comprennent pas où on veut les emmener. Joe Zawinul n'est pas le moins marri de voir dans quel magma vont cramer ses jolis thèmes. Les futures étoiles du jazz rock se rattraperont plus tard, déplore Matthieu Thibault, qui ne semble guère goûter la virtuosité gratuite et les solos interminables auxquels un John McLaughlin, notamment, était contraint de renoncer au moment de "Bitches Brew". On n'est pas obligé de partager tous les parti-pris de l'auteur dont le propos, parfois, aurait gagné à être à la fois plus resserré et mieux étayé dans certains passages. Il n'empêche que face à un album aussi ébouriffant, la prose de strong>Matthieu Thibault décoiffe autant que sa coupe de cheveux.
"Bitches Brew ou le jazz psychédélique", de Matthieu Thibault (Editions Le Mot et le Reste). Coup de projecteur avec l'auteur, jeudi 26 avril, sur TsfJazz (7h30, 11H30, 16h30)