Lundi 2 septembre 2019 par Ralph Gambihler

(Très) cher cinéma français

Gatsby s'est fait la malle, Éric Neuhoff tire la tronche. Dans (Très) cher cinéma français, le plus "fitzgeraldien" de nos critiques-écrivains se dépouille de son dilettantisme tout en mélancolie pour canarder à vue les films en bleu blanc rouge. Trop pépère, le cinéma français ! Il ne nous fait plus rêver, il grisaille de "polars mal ficelés, de comédies pas drôles, de petites romances à la con"... Subventionné jusqu'à plus soif ("Madame touche une rente à vie"...), il est devenu comme Anne Hidalgo: "sectaire, revêche, sans grâce, empestant l'arrogance et la mauvaise foi"...

Des noms, des noms ! D'abord prudent, l'auteur se lâche peu à peu: François Ozon, André Téchiné ou encore Jacques Doillon ne s'en sortent pas indemnes. Plus loin, il en demande aux réalisateurs français de rayer Chantal Akerman (qui était belge) de leur vocabulaire, mais c'est surtout une célèbre actrice française qui en prend pour son grade: "À  cinquante ans, elle se crut sensuelle", lâche Neuhoff à-propos de la comédienne en question. D'après lui, un pays où Isabelle Huppert est considérée comme la plus grande actrice de cinéma est un pays qui va mal.

Et les griefs s'accumulent contre la cinématographie hexagonale : "poisson mort", "colin froid", "putain fardée à la peau flêtrie"... Entre deux noms d'oiseaux, la plume de Neuhoff s'aiguise avec plus d'à-propos lorsqu'elle cerne le début-type d'un film français: des plans de poignée de porte, un robinet qui goutte, les chiffres fluorescents d'un réveil, une dame dont on devine la silhouette nue sous la douche... "L'objectif se concentre sur la buée qui recouvre le miroir au-dessus du lavabo. C'est de l'art". 

La charge est souvent jubilatoire, mais un peu usée. D'habitude, Éric Neuhoff est un peu moins dans l'air du temps. Le pamphlet reste surtout dans les paramètres du genre: raccourcis, clichés, mais aussi une tonalité qui met parfois mal à l'aise. Se moquer de Mathieu Amalric lorsque ce dernier fustige les multiplexes tout en tournant dans le dernier James Bond à Panama, pourquoi pas ? Mais lorsqu'il s'agit de revenir sur Emmanuelle Béart qui "s'enferme dans une église avec des clandestins", le propos est limite: "Depuis, on n'a plus de nouvelles d'elle. Est-elle partie dans un ashram ? "

Au fond, le diagnostic de Neuhoff ne tombe pas au bon moment. Il est vrai que ce n'était pas facile, pendant longtemps, de placer un ou deux films français dans notre top 10 de l'année, mais depuis un ou deux ans, le paysage a changé: Desplechin, curieusement épargné par l'auteur, se remet à faire de bons films, Jacques Audiard assure, Christophe Honoré s'est surpassé, Céline Sciamma surprend (blog à venir...) tandis qu'un film comme Jusqu'à la garde a dégraissé dans l'incandescence tous les codes du "film à sujet".

Reste la nostalgie. Sur ce point, Éric Neuhoff retrouve toute sa finesse. Claude Sautet et Mireille d'Arc, Maurice Ronet et Jean-François Stévenin ("La France avait son Cassavetes")... Comme lui, on reste éperdument fan d'un certaine époque, avec encore, en même temps, des questionnements sur le présent. "On aimerait un peu de poésie, écrit-il, qu'elle soit sobre, délicate, avec l'insouciance en bandoulière, quelque chose d'étourdi, de frais, de mal peigné"... Peut-on vraiment lui donner tord ?

(Très) cher cinéma français, Éric Neuhoff (Albin Michel). En librairie le 5 septembre.