Millénium (le film)
De battre son coeur s'est arrêté. Il y eut une période, en effet, où le cinéma de David Fincher avait du coeur. Mais contrairement à Benjamin Button, nous n'avons plus, nous, spectateurs, la possibilité de rajeunir et d'aimer Fincher du temps où il était encore un cinéaste-monde et non pas un cinéaste-machine. Une première alerte avait déjà retenti avec "The Social Network", sauvé in extremis par une mise en scène prodigieuse et un portait à visage humain, finalement, du fondateur de Facebook, malgré une propension déjà inquiétante à se gargariser de plans tue-l'amour sur des écrans d'ordinateur...
"Millénium", malheureusement, accentue cette veine glaciale avec son couple d'enquêteurs qui passe son temps à briser les codes informatiques pour dévoiler sur le mode pixels les lourds secrets d'une richissime famille de nazillons suédois. Un peu usant, à la longue, l'hommage à Steve Jobs, d'autant plus qu'il faut à nouveau nous farcir, deux ans et demi après une première adaptation cinématographique lourdingue du best-seller de Stieg Larsson, un univers qui décidément n'est pas notre came et dont les saillies les plus glauques (le viol de Lisbeth par son gros dégueulasse d'assistant social et le châtiment qui s'ensuit...) ne sont franchement pas une partie de plaisir, Fincher ou pas Fincher...
La mise en scène elle-même, à l'exception notable d'un générique cyberpunk bluffant à souhait, n'est pas vraiment transcendante. On pourra toutefois se consoler au niveau de l'interprétation: beaucoup moins à son avantage que dans James Bond, Daniel Craig s'offre, ici, un rôle à contre-emploi qui fait aimablement diversion. Contrat largement rempli, également, pour la fascinante Rooney Mara qui joue une Lisbeth gorgée d'ambiguïtés, de fragilité et surtout étonnamment charnelle, ce qui n'allait pas forcément de soi dans un polar à ce point dépourvu, justement, de chair et d'affects.
"Millenium", de David Fincher (Le film est sorti en salles le 18 janvier)