L'Etrange histoire de Benjamin Button
Les aiguilles tournent à l'envers dans L'Etrange histoire de Benjamin Button, à l'image de ce cadran à rebours conçu par un horloger inconsolable. On est en 1918, à la Nouvelle-Orléans, et avec cette horloge montée à l'envers l'horloger espère faire revenir son fils qui a été tué au front. Cette première séquence, magnifiquement filmée par David Fincher, le réalisateur de Seven et Zodiac, donne le ton de ce qui sera sans doute l'une des oeuvres les plus éblouissantes de l'année. Mais peut-être touche t-on là au rêve secret de tous les amoureux du 7ème art: cette idée que le temps s'inverse ou au moins que le temps s'arrête, et que soudainement plongé dans une salle obscure, notre horloge personnelle s'oublie dans un autre flux d'images et de sons alors qu'à l'extérieur la vie continue, n'est-elle pas l'essence même de l'invention des frères Lumière?
L'Etrange histoire de Benjamin Button porte en tous les cas cette impression à son paroxysme, puisque là, il est vraiment question d'un temps inversé. On est en 1918, à la Nouvelle-Orléans, l'horloger fou vient de sévir, et c'est à ce moment là que naît le personnage principal, un bébé qui n'a rien de mignon puisqu'il a d'emblée les traits d'un vieillard. Mais comme pour lui, les aiguilles tournent à l'envers, plus il va grandir, plus il va rajeunir... De cette fable extraite des Enfants du jazz, un recueil de nouvelles de Scott Fitzgerald, David Fincher a fait une fresque flamboyante qui nous emmène jusqu'au cyclone Katrina, en passant par les Années Folles -ce que Fitzgerald appelait lui-même le "Jazz age"-, puis la 2ème guerre mondiale ou encore les années James Dean...
De plus en plus jeune, mais aussi de plus en plus mûr, Benjamin Button va découvrir, au fil du temps, que son don particulier n'est pas forcément un cadeau. Surtout lorsqu'il tombe amoureux d'une danseuse, Daisy, campée par la géniale Cate Blanchett. Eux aussi vont devoir se dire "Nous ne vieillirons pas ensemble"... David Fincher a exorcisé cette situation dramatique en la filmant comme une histoire d'amour fou extraordinaire alors que Scott Fitzgerald, dans la nouvelle originale, la traitait sur un mode beaucoup plus cynique. "Toute vie est bien entendu un processus de démolition", écrivait l'auteur de Gatsby le Magnifique... Mais elle est aussi une suite de sensations, de rencontres et de petits instants quotidiens dont Benjamin Button, du fait même de sa fragilité existentielle, va apprendre à savourer chaque seconde.
C'est justement parce qu'il a prêté autant d'attention à ces moments simples qu'aux séquences plus spectaculaires que David Fincher a réussi son pari. Il ne s'est pas laissé dévorer par les effets spéciaux, il a évité toute esbroufe dans sa mise en scène, et il a surtout dirigé avec une retenue admirable Brad Pitt, dont le personnage observe finalement plus qu'il n'agit, un peu comme le jeune aventurier idéaliste filmé par Sean Penn dans Into the Wild, à la différence près que Benjamin Button, lui, parait beaucoup plus profondément marqué par ses rencontres. C'est ce qui donne à ce grand film sur les petits riens un pouvoir d'émotion considérable. On en ressort avec encore à l'esprit un air de Louis Armstrong, un dîner aux bougies dans un hôtel de Mourmansk, quelques pas de danse sur un belvédère... De quoi rêver encore, dehors, dans le froid, même si les aiguilles, à nouveau, se remettent à tourner à l'endroit.
L'Etrange histoire de Benjamin Button, de David Fincher... Coup de projecteur lundi 2 février, avec le réalisateur, à 8h30, 11h30 et 16h30