Les Roosevelt, une histoire intime
Cousin, cousine à la Maison-Blanche. Ainsi fonctionne le clan Roosevelt d'un président à l'autre avec entre les deux Eleanor, nièce du premier et cousine éloignée du second... qu'elle épouse. Bref, une famille en or et surtout une histoire intime à fort coefficient politique dont le documentariste Ken Burns explore en sept volets les lignes de force comme les jeux d'ombres. Diffusée il y a plus de huit ans sur la chaîne PBS, la série a été relayée cet été sur Arte, toujours fidèle à l'un des conteurs les plus accomplis de l'Amérique contemporaine (The Civil War, Jazz, Mohamed Ali...), juste après The Dust Bowl, autre joyau de Ken Burns où l'on croisait déjà Franklin Roosevelt, mais de manière plus discrète.
Sauf qu'avant Franklin il y eut donc Theodore Roosevelt, 26e président des États-Unis de 1901 à 1909. Autre tempérament. Sanguin et viriliste, le bonhomme a pourtant en commun avec son cousin-successeur le même culte d'un état fédéral fort. Tous deux sont également en butte à de fortes résistances des milieux d'affaires lorsqu'il s'agit de redéfinir le contrat social américain. Le premier des Roosevelt fascine visiblement Ken Burns, pour le meilleur (Le T.R Rag composé pour l'occasion par David Cieri...) et pour le pire, à l'instar de ce silence regrettable sur les propos discriminants de l'ex-président au sujet des Amérindiens. Le documentariste rétablit heureusement l'équilibre en faisant peu à peu surgir, à côté du "progressiste" (image que le mandat et le programme social de Woodrow Wilson viendront relativiser après coup...), Theodore le matamore faisant le coup de feu sur une colline cubaine durant la guerre hispano-américaine de 1898. C'est le même homme qui suscitera, lorsqu'il sera à la Maison-Blanche, une rébellion anti-colombienne au Panama pour que les États-Unis puissent tranquillement faire main basse sur le territoire où sera construit le fameux canal...
"L'effet Ken Burns " (zoom avant sur la photo, citations en voix off, historiens filmés en gros plan avec des propos aussi brefs que percutants...) se déploie avec bien plus d'ampleur lors des épisodes consacrés à Franklin Roosevelt. Imbuvable à ses débuts avec ce fameux menton levé de manière hautaine, l'homme du New Deal s'humanise dès lors que la polio le prive de ses jambes. Dans le précipice de la Grande Dépression, il parvient à capter l'attention des Américains en se hissant à leur hauteur. Avec lui, la causerie au coin du feu est tout un art, surtout radiophonique. Son autre arme, c'est l'humour, quelque peu vieillot selon les circonstances même si le fameux "Fala Speech " de 1944 n'a pas vieilli d'un iota. En pleine campagne pour sa réélection, le président sortant répondait à ses détracteurs républicains qui l'accusaient d'avoir diligenté aux frais du contribuable un destroyer de la Marine pour récupérer dans les îles Aléoutiennes son chien, Fala, abandonné par mégarde: "Je ne ressens pas les attaques et ma famille non plus, mais Fala, lui, les ressent ! Son âme écossaise est furieuse. Il n'est plus le même chien depuis lors"...
Et pourtant, très peu de temps après, et alors même que sa grande oeuvre, à savoir l'écrasement du nazisme, est sur le point d'aboutir, Roosevelt est mourant, assène soudainement Ken Burns. L'ombre d'Eleanor, son épouse, prend alors toute son importance. La timide cousine est devenue une femme libre, l'épouse qui se voyait corsetée à la Maison-Blanche s'affiche féministe et anti-raciste, mettant du même coup en lumière les chaînons manquants dans le cursus idéologique de son mari. Quand les États-Unis entrent en guerre, elle se dépense sans compter pour soutenir les GI's, et face aux infidélités de Franklin, elle se résout à ne jamais subir quoi que ce soit... Immense force motrice, également à l'œuvre lorsque sera élaborée la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Dans la série de Ken Burns, c'est Meryl Streep qui lui prête sa voix.
Les Roosevelt, une histoire intime, Ken Burns (en replay sur Arte jusqu'au 29 octobre 2023)