Mohamed Ali (par Ken Burns)
On l'aime un peu, beaucoup, passionnément... et quelquefois plus du tout. Qu'importe, puisque le plus dantesque des boxeurs parvient toujours rebondir dans nos cœurs. Surtout quand c'est Ken Burns, passeur-fleuve des grandes épopées américaines (de la Guerre de Sécession au jazz...), qui monte sur le ring pour nous raconter sur Arte son Mohamed Ali.
Résultat: une saga de sept heures découpée en quatre parties où, comme toujours chez ce documentariste hors pair, photos, vidéos et témoignages déferlent en légions conquérantes. Un travail de longue haleine contextualisé avec soin, notamment pour tous ceux qui, n'y connaissant rien à la boxe, se prennent soudainement de passion pour ces combats dont Ken Burns décrypte la dimension artistique au-delà de leur brutalité intrinsèque.
Mais il n'y a pas que les combats, tant la légende Mohamed Ali s'est aussi construite en dehors du ring. En quête de ses premiers titres, celui qui s'appelle encore Cassius Clay pulvérise toutes les bienséances. "Je suis mignon, la plupart des boxeurs sont laids ", clame-t-il alors que Sonny Liston va devenir sa première victime. Prédisant le nombre de rounds qu'il lui faudra pour terrasser ses adversaires, l'enfant de Louisville (Kentucky) réinvente la fierté noire. Il provoque sans cesse Joe Frazier, son éternel rival, il danse à Kinshasa, exultant de panafricanité face à ce monolithe de George Foreman. On a encore en tête les images du fameux documentaire Soul Power qui retraçait cet épisode...
Toute la culture populaire américaine s'est lovée dans les hauts et les bas de ce champion fascinant, insupportable et irrésistible. Frank Sinatra et Count Basie se précipitaient pour le voir au Madison Square Garden, Norman Mailer a écrit qu'il était "la plus parfaite incarnation de l'esprit du XXe siècle " et avant même que le Black Power ne montre définitivement ses muscles, Ali emblématise la résistance à la guerre du Vietnam, quitte à être écarté des rings pendant de longues années.
À l'époque, il invoque ses options religieuses et sa conversion à l'Islam qui l'a aussi amené à changer de nom, mais quand il balance "Jamais un Vietcong ne m'a traité de sale nègre", le propos n'a plus rien de religieux. Il reste que sa fréquentation du mouvement Nation of Islam a aussi des aspects moins reluisants. Lorsqu'il tourne le dos à Malcolm X qui fut pourtant l'un de ses premiers supporters, on n'a pas seulement une pointe d'écœurement. Ce n'est pas non plus le mari ni le père idéal, et son rapport à l'argent, entre générosité et ostentation (il collectionne des Cadillac de toutes les couleurs...) laisse parfois bien songeur.
Le destin, souvent cruel, manque de nous faire oublier l'essentiel: à force de donner des coups, Mohamed Ali en a beaucoup reçus, jusqu'à le déglinguer prématurément en mode maladie de Parkinson. Le voici soudain moins volubile, tragiquement altérable, rebelle adouci et tremblant comme la flamme olympique qu'il porte aux JO d'Atlanta en 1996. C'est toute l'Amérique désormais, y compris l'establishment, qui porte aux nues l'ex-trublion renvoyé dans les cordes de sa propre légende. La joie qu'il a offerte aux siens, quant à elle, reste à jamais éternelle.
Mohamed Ali, série documentaire de Ken Burns, en replay sur le site d'Arte jusqu'au 11 mars.