The Dust Bowl -De la poussière et des hommes
Une sécheresse qui s'éternise, des terres détruites à force d'être surexploitées, la Grande Dépression qui ne manquerait pour rien un tel spectacle et par-dessus tout, des tornades de poussières suffocantes de noirceur, éclipsant le soleil en pleine journée et rendant l'air irrespirable... Voilà pour les nouvelles plaies d'Égypte façon Ken Burns, ou plutôt les plaies du Dust Bowl ("le bassin de poussière"), cette région des plaines du Sud dont l'immense documentariste américain nous fait revivre l'enfer au cœur des années trente.
"Dans le Sahara au moins, aucun abruti n'essaie de faire pousser quoi que ce soit ", déclarait à l'époque un habitant du cru au regard de l'épreuve subie. Au départ, un crime environnemental dont l'éco-historien Timothy Egan retrace la généalogie. Pour faire pousser encore plus de blé alors que le cours s'effondre et que la pluie manque à l'appel, des fermiers installés entre l'Oklahoma, le Kansas et le Texas détruisent les dernières prairies à bison. Défrichage à tout va, monocultures érosives, surpâturage mortifère... Privés d'humidité et dépouillés de tout couvert végétal, les sols ne sont plus retenus par les racines. Au moindre coup de vent, ils sont soulevés dans l'air, créant ces terrifiants "blizzards noirs"...
On en compte 14 en 1932, 38 un an plus tard... Au drame climatique et économique (la Grande Dépression met à bas les revenus agricoles...), s'ajoutent les pneumonies entraînées par ces tempêtes de poussières. Des enfants en meurent. Ceux qui ont survécu témoignent avec leurs rides et leurs tripes de cette époque de misère bouleversant tout un ordre naturel. Poussés par la faim, des hordes de lièvres envahissaient ce qui restait de pâturages, de cultures et de jardins. On les massacrait allègrement. Jusqu'à ce que Roosevelt et son New Deal tentent de réparer les vivants.
Leçon de choses que ces fermiers individualistes découvrant soudainement que seul l'Etat fédéral peut les empêcher de couler en embauchant des chômeurs pour revitaliser la terre tout en encourageant de nouveaux modèles agricoles. Même renversement lorsque ces premiers migrants climatiques décident de partir en Californie, comme dans Les Raisins de la colère (on apprend au passage que John Steinbeck s'est inspiré en partie du récit d'une jeune journaliste du Dust Bowl, Sanora Babb, laquelle devra renoncer plus tard à publier son propre roman pour ne pas concurrencer l'écrivain américain...), et qu'ils se font traiter sur place de "Okies", discriminés comme le sont les Noirs ailleurs aux États-Unis.
Zoom et panoramique sur les clichés de l'époque -le fameux "effet Ken Burns "- rendent cette épopée aussi fascinante que bouleversante. A vrai dire, ces "increvables" étaient dotés d'une résilience à toute épreuve, et on sait à quel point ce thème irrigue l'univers du documentariste, de la Guerre de Sécession à Mohamed Ali. Résilience par le chant, au rythme des morceaux de Woody Guthrie qui a vécu ces tempêtes de poussière, ou alors à travers les lettres de Caroline Henderson, cette "Laura Ingalls du Midwest mais avec une conscience adulte" (Washington Post) qui, au soir de sa vie, constatait combien "il est douloureux de s'apercevoir que notre réussite ne dépend que de ces mystérieuses et puissantes forces de la nature, qu'il s'agisse de cultiver son blé... ou de forger son caractère."
Les leçons sont-elles pour autant apprises ? Rien n'est moins sûr lorsqu'on observe après coup, et une fois l'eau revenue, le pompage excessif de la nappe de l'Ogallala par ces mêmes agriculteurs. Le retour des sécheresses, le cycle sans fin des spéculations sur les matières premières, et bien évidemment les nouveaux pics climatiques confirment chaque jour les chromos de Ken Burns: ce monde n'a pas fini, hélas, de mordre la poussière.
The Dust Bowl-De la poussière et des hommes, Ken Burns, quatre épisodes, en replay sur Arte jusqu'au 28 août.