Les Nuits de Mashhad
Dans les faubourgs de Mashaad, la plus importante ville sainte d'Iran, un bon père de famille "converti" en serial killer pense accomplir une mission divine en cueillant à moto des prostituées ravagées par la drogue avant de les ramener chez lui pour les étrangler. La police paraît peu empressée de mettre un terme à cette odyssée macabre, jusqu'à l'irruption bienvenue d'une journaliste d'investigation (Zar Ami Ebrahimi, beau prix d'interprétation féminine à Cannes...) venue de Téhéran.
Optant à première vue pour un registre plus classique au regard de son étonnant Border qui avait fait sensation en 2019, le cinéaste danois d'origine iranienne Ali Abassi n'a rien perdu de son attrait pour les sujets "coup-de-poing" à la lisière d'une certaine animalité. S'inspirant de faits réels, il porte ici au sommet l'art du thriller à résonance politique avec une première partie dont l'ambiance poisseuse et tendue saisit d'emblée l'attention. Il y a du Mean Streets dans cette façon rugueuse de filmer une métropole à l'état de jungle nocturne, sous l'angle du trottoir, avec des secousses de violences absorbées dans la moiteur.
De quoi nous bousculer par rapport à un certain cinéma iranien "bien élevé" qui s'appuie trop souvent sur des scénarios tenant davantage de l'horlogerie que de l'orfèvrerie. Ali Abassi s'impose à cet égard comme l'anti-Farhadi. Cinéaste d'atmosphère (et donc, de respiration...), la densité narrative n'est pas son souci. La respectabilité cinématographique encore moins, comme on l'a vu à Cannes lorsque plusieurs festivaliers l'ont taxé de complaisance là où le côté cru de certaines scènes fait d'abord contrepoint au fait qu'à l'époque, ni les médias, ni l'opinion, ni le régime n'ont consenti à regarder en face le martyr de ces prostituées.
La deuxième partie du film captive encore davantage. Alors qu'elle était censée mettre bien plus en avant l'enquêtrice, c'est le tueur qui lui vole la vedette, même lorsqu'il est mis hors d'état de nuire. Défendu par ses proches et par une société gangrénée par la haine des femmes, l'ancien combattant croit encore pouvoir échapper au châtiment. La mise en scène d'Ali Abassi ausculte ces dernières illusions en montant encore d'un cran dans le glacial. Pas une once de fascination ne sera consentie à un personnage aussi sinistre, jusqu'au dernier plan implacable qui rappelle d'autres visages de victimes, de la même manière qu'un système judiciaire peu scrupuleux et soucieux d'avoir le dernier mot fait écho à la violence de rue d'un exalté religieux.
Les Nuits de Mashhad, Ali Abassi, prix d'interprétation féminine à Cannes pour Zar Ami Ebrahimi (sortie en salles ce mercredi 13 juillet)