1993
Où il est question du tunnel sous la Manche, d'une Europe vitrifiée, de la Fin de l'Histoire et d'une soirée anti-Jungle de Calais qui vire à la défonce identitaire. Confrontées à pareil inventaire, les ardeurs punk de Julien Gosselin peuvent éventuellement souffrir d'insuffisance musculaire. Le fastidieux marathon 2666 en fournissait déjà quelques symptômes il y a plus d'un an à l'Odéon. Écrans vidéos, musiques amplifiées, projections de phrases pour lecteurs intensifs... De 2666 à 1993, mêmes variations sur le mode Des chiffres et des lettres, même apocalypse scénique laissant de l'espace à la vacuité. Julien Gosselin entend pulvériser les codes du théâtre, il le dépouille avant tout de sa chair.
Le public n'en est pas la seule victime. Aurélien Bellanger, l'auteur du si passionnant L'Aménagement du territoire, signe le texte. "Voulant fabriquer de l’extrême modernité, on fabrique de l’archaïsme", explique-t-il dans Médiapart où sa prose est bien plus avenante. Et d'ajouter que dans cette Europe d'aujourd'hui vouée au glacis technologique et à la violence codifiée, l'universel, ce n'est plus l'aéroport, c'est le camp de réfugiés. Une autre manière, somme toute, de traduire cette fameuse "fin de l'Histoire" que Fukuyama croyait entrapercevoir dans les décombres du Mur de Berlin...
Sauf que sur la scène du T2G, à Gennevilliers, c'est une interminable logorrhée au milieu des fumigènes qui broie la pertinence du propos. Les jeunes pousses du Théâtre National de Strasbourg, secondes victimes de l'affaire, en viennent même à disparaître du plateau pendant 40 bonnes minutes, le public (3e victime) subissant alors une sorte de magma nocturne et sonore qui rappelle la parenthèse mystique de Terrence Malick dans The Tree of Life, le dantesque en moins.
L'Europe est faite d'institutions Playmobil, poursuit Bellanger. C'est aussi la forme que prend le jeu des comédiens, surtout lorsqu'ils reprennent, dans une séquence là encore interminable, les discours de remerciements des dirigeants de l'Union européenne en 2012 au moment où leur était décerné le Nobel de la Paix. Pour finir, on les voit s'éclater dans une rave party Erasmus, à Calais, en plein trip sexe, drogue et poing levé, prêt à en découdre avec les migrants.C'est un peu tristounet de démarrer comme cela dans le métier.
1993, Julien Gosselin et Aurélien Bellanger, au T2G de Gennevilliers jusqu'au 20 janvier.