L'Aménagement du Territoire
Accrochez bien vos ceintures, ami lecteur ! L'Aménagement du territoire, barbaresque razzia (rien qu'à travers le titre !) dans ce que le paysage romanesque français a de parfois si velouté, aborde les rivages toujours très dangereux d'une littérature-machine, vibrante de soubresauts apocalyptiques, sourde à la délicatesse des âmes mais certainement pas aux vertiges de l'esprit. Houellebecq et Dantec en ont déjà été les corsaires. Aurélien Bellanger écume dans les mêmes eaux, et de façon bien plus convaincante qu'à l'époque de La Théorie de l'Information qui lui avait valu, en 2012, un buzz définitivement surestimé au regard de la virtuosité de ce nouvel opus.
Il faut dire qu'au diptyque Houellebecq/Dantec se superpose une autre filiation, plus singulière, qui verrait s'entrecroiser Indiana Jones et les Rougon-Macquart. Ainsi en va-t-il de ces vieilles brouilles familiales qu'un chantier de ligne TGV réveille au fin fond de la Mayenne, jusqu'à exhumer le souvenir d'un ordre ancien datant de Charlemagne et dont une mystérieuse grotte assure la permanence au pied d'un château délabré. "Les automobiles furent dés le commencement libres et autonomes comme des satellites en orbite basse capables de rectifier à tous moments leurs trajectoires. (...) Mais le rail survécut, comme un organisme fossile "...
C'est autour de cette figure du TGV -notre grand roman national des années 80 et notre étrange manière, à nous, Français, d'entrer à toute berzingue dans l'an 2000 alors que cette technologie était, au même moment, abandonnée par les Américains- que se déploient des personnages hauts en couleur : entrepreneur du BTP, châtelain illuminé, ex-préfet gaulliste, archéologue aventureux... A l'ombre de l'activisme breton, des extrémismes de tout bord et du défunt Roland tué à Roncevaux, des complots se font jour, entremêlant le vice du terroir et l'obsession du sacré.
Truffé de notations encyclopédiques qui s'insèrent dans le récit avec une fluidité qu'on ne retrouvait pas dans La Théorie de l'Information, ce second roman d'Aurélien Bellanger se tient admirablement alors même que son champ d'attraction magnétise plusieurs strates narratives et temporelles. C'est aussi un roman visionnaire, politique au plus beau sens du terme et attaché à l'esthétique des idées sans pour autant sacrifier à un salmigondis surfait. De quoi accompagner avec brio l'autre grand sommet de cet automne (le nouveau Emmanuel Carrère...) même si Aurélien Bellanger, en ce qui le concerne, ne veut accompagner personne.
L'Aménagement du territoire, Aurélien Bellanger (Gallimard). Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 4 septembre, sur TSFJAZZ (12h30)