Mercredi 18 mai 2011 par Ralph Gambihler

The Tree of Life

Voilà un film d'une beauté immémoriale. On en ressort reposé, imprégné d'harmonie, de douceur et de sérénité, malgré la sourde angoisse qui nous a étreint tout au long du récit. Avec The Tree of Life, Terrence Malick signe une oeuvre aussi radicale dans sa texture narrative qu' Inland Empire de David Lynch... On pense aussi aux films de Tarkovski et à la façon dont ils sont, d'instinct, aimantés par un au-delà du 7ème art...

The Tree of Life n'aura même pas besoin d'une palme d'or à Cannes pour faire date. Ce film, qui est tout en lui-même, c'est-à-dire déchiré, explosé, galactique, messianique, peut-être abracadabrantesque mais d'abord dantesque; ce film, c'est l'immensité faite cinéma. Un deuil, pour commencer... La mort du frère, ou plutôt du fils, puisque c'est d'abord le point de vue de la mère qui prévaut dans cette famille texane des années 50 dont Terrence Malick va cerner les tourments en ayant recours à plusieurs échelles dans le temps et l'espace...

Première voix off , donc, (il y en aura d'autres, comme une longue prière sur le mode symphonique), celle de la mère... Elle personnifie, selon le réalisateur, la grâce humiliée face à la nature égoïste. Elle ploie sous les coups du destin qui "envoie des mouches sur les plaies qu'il est censé guérir". Elle en appelle, cette mère meurtrie, à des visions telluriques et antédiluviennes pour conjurer l'atroce déchirure... L'écran s'embrase de volcans en furie, de rivières de magma et de ce cosmos particulier à l'auteur, jusqu'à l'étrange séquence des dinosaures... Certains ont ri, à Cannes... Mais nous, dans le recueillement d'une séance de minuit, à Paris, on est simplement intrigué et fasciné, comme l'étaient certainement aux premiers temps de l'humanité cinématographique les spectateurs des films de Méliès et des frères Lumière.

Après cette orgie visuelle en guise de hors-d'oeuvre, le plat de résistance... Le film semble retrouver une allure plus classique autour d'un Brad Pitt remarquable de sobriété en tyran domestique, mais c'est un leurre... Lumière blanchâtre et surexposée, dialogues réduits au strict nécessaire, fragmentation du récit comme si chaque scène se suffisait à elle-même et n'était qu'un éclair de réminiscence dans un amas de souvenirs éparpillés...

Rien, décidément, ne vient entraver les branches follement infinies de The Tree of Life... Trois gosses grandissent, là, sous nos yeux... Apparemment, c'est le cadet dont on nous a annoncé la mort au début du film, mais la caméra est surtout focalisée sur l'aîné et le rapport amour-haine à son père, l'aîné qui paraît aussi anticiper la mort de son frangin après l'avoir jalousé... Elle relève de l'inouï, la justesse du regard, avec en bonus des jeunes acteurs tendus à souhait et saisissants de vérité. Ce frère aîné devenu adulte, c'est Sean Penn. Il erre dans New-York, coincé dans la verticalité des mégapoles alors que la partie Texas années 50 se refusait au moindre dénivelé, optant à la fois, dans une géométrie complètement onirique, pour le plane et le planant. Et puis il y a cette porte, à la fin, en plein désert... Et puis la plage... Et puis tous ces êtres chers retrouvés, pardonnés, rajeunis, comme si la force du souvenir les avait embaumés dans une réconciliation absolue entre la grâce et la nature...

Mais après tout, on s'en fout un peu de la grâce, de la nature et des talents de prêcheur de Terrence Malick.  Car c'est la marque des très grands que de réussir à nous embraser tout en mettant un peu de distance entre leurs propres obsessions et nous-mêmes, simples spectateurs, nous qui n'avons pour seuls viatiques dans ce film-monde que l'ivresse d'une mise en scène et tous ces plans à foison qui, longtemps après la projection, nous inondent encore les pupilles...

The Tree of Life (L'Arbre de la Vie), de Terrence Malick (le film est sorti en salles le 17 mai)