Black Swan
Mordus du minimalisme, passez votre chemin ! Ici, tout n'est que soufre, spasmes et anxiété. Avec son maléfique "Black Swan", Darren Aronofsky nous entraîne dans un tourbillon qui a d'abord le mérite de ne pas flancher en cours de route alors même que la mise en scène ne cesse de foncer à tombeau ouvert. Je veux dire par là que "Black Swan" ne roule pas au diesel et que son puissant carburant emprunte à la fois à David Lynch, Michael Powell, Roman Polanski ou encore David Cronenberg. Si on ne les maîtrise pas, elles peuvent facilement vous précipiter dans le mur, toutes ces références. Seulement voilà. Aronofsky ne lâche pas le volant et il slalome comme un beau diable entre miroirs brisés, obsessions mortifères et corps fissurés.
Le corps de Natalie Portman, donc, les pieds en sang dans la peau d'une danseuse engagée pour jouer "Le Lac des Cygnes". Encore faut-il qu'elle maîtrise les deux aspects de son personnage: le côté angélique, mais aussi la face noire, et c'est là où le bât blesse. Trop douce, trop vulnérable, étouffée qui plus est par une mère insupportable, la jeune femme va peu à peu forcer sa nature, sous la double pression d'un chorégraphe particulièrement vicieux (étonnant Vincent Cassel en faux homme à femmes) et d'une rivale douée d'un sacré tempérament charnel (Mila Kunis, à croquer sur place...) La ballerine va ainsi s'emballer, poussant la passion de son art jusqu'au dédoublement de personnalité.
"Black Swan" vire alors dans le fantastique, au gré des fantasmes et des cauchemars de son héroïne , le tout dans un décor d'autant plus inquiétant qu'il reste ancré dans le quotidien (les scènes dans les couloirs d'immeuble ou dans les rames de métro sont vraiment top)... Caméra à l'épaule, comme dans son précédent film, le rugueux "The Wrestler" (la chute d'un corps, là aussi), Darren Aronofsky capte en virtuose ce cheminement vers l'hystérie en n'oubliant pas que ce terme est dérivé du grec hysteria qui signifie "utérus". C'est un peu le côté "gorge profonde" de "Black Swan", cet accent porté sur le sexe comme organe "parlant" et moteur de toutes les aliénations.
Au final, c'est pourtant bien la remontée vers le visage de Natalie Portman, avec ses yeux à la Audrey Hepburn, qui devient le principal enjeu de la mise en scène. Tour à tour cristalline, ténébreuse et sépulcrale, la comédienne tient là ce que l'on appelle communément le rôle de sa vie.
"Black Swan", de Darren Aronofsky (sortie en salles le 9 février) Coup de projecteur avec le réalisateur, sur TsfJazz, le lundi 7 à 8h30, 11h30 et 16h30