Dimanche 23 juin 2013 par Ralph Gambihler

Le blues dans le jazz instrumental...

Le jazz a toujours eu le blues dans la peau, mais la pigmentation a varié selon les périodes. C'est cette prégnance que le sociologue Roland Guillon interroge dans un essai aussi pertinent et évocateur que ses précédents travaux sur le jazz instrumental des années 50 et 60. L'ouvrage se nourrit tout entier de la diversité des sensibilités, des synthèses et des tensions autour de ce diptyque jazz/blues même si les deux confréries de musiciens ont rapidement fait chambre à part.

Honneur est d'abord rendu aux deux fondateurs du hard-bop que sont Horace Silver et Art Blakey. L'émotivité et l'expressivité du blues, ils la transcendent dans cette formidable montée en puissance du funk dont le regretté Donald Byrd sera aussi l'un des artisans majeurs, au même titre que le saxophoniste Jacky McLean dont l'auteur nous invite à réentendre "Fickle Romance", l'un de ses thèmes les plus flamboyants. Egalement sensibles au groove (Milt Jackson) ou à une inflexion vers un jazz soul  (Jimmy Smith),  les musiciens de cette période livrent en même temps leur corpus harmonique et rythmique à quelques acrobaties qui vont enrichir plus que dénaturer le rapport intrinsèque entre jazz et blues.

La rythmique ondoyante d'un Sonny Rollins, par exemple, coexiste avec des ruptures de plus en plus syncopées tandis que Miles Davis et John Coltrane s'ouvrent à la modalité dans un contexte plus ou moins exacerbé, surtout pour le second. L'intrusion de rythmes caribéens, africains, voire même orientaux (Yusef Lateef) donne également matière à un blues plus chaloupé, exotique (mais sans les clichés du genre) et propice à un renouvellement allant de pair, parfois, avec des préoccupations politiques et communautaires...

Le Free Jazz en sera bien sûr, la prolongation la plus explosive mais là encore, selon Roland Guillon qui s'en tient à une vision plutôt legato des différents courants de l'histoire de la note bleue, le blues ne disparait pas vraiment. Si "efférentes" soient-elles, les tensions que l'on entend, par exemple, dans la musique d'Archie Shepp, ces fameuses  "rafales" telluriques et éruptives, ne l'empêchent pas de sacrifier, dans le même enregistrement ou alors dans la session suivante, à un revival blues que peut traduire, par exemple, la reprise d'un thème de Duke Ellington... Est-ce à dire, paraphrasant Jaurès sur l'internationalisme, qu'un peu de dissonance nous éloigne du blues, mais que beaucoup nous y ramène ?

"Le Blues dans le jazz instrumental des années 1950 et 1960", de Roland Guillon (Editions L'Harmattan, collection L'Univers Musical) Coup de projecteur avec l'auteur, sur TSFJAZZ, ce lundi 24 juin (12h30)