Mardi 24 septembre 2013 par Ralph Gambihler

The Empire of Love

Dans ses concerts où le lâcher-prise est roi, le clarinettiste le plus déjanté de l'hexagone aime à dire que "Dieu est une boule à facettes". Il en a même fait, sur sa page Facebook, le préambule constitutionnel de son "Empire of Love" qui déboule cette semaine sur de tourbillonnants tapis électro et dancefloor, comme autant de montagnes russes pour une note bleue promise aux secousses les plus hypnotiques. Même tentation dadaïste (ponctuée d'un hommage moqueur à nos années disco...) sur la pochette du disque, toute rose-bonbon, avec un Yom métamorphosé en gourou glabre versant une larme à la mémoire de ce bon vieux klezmer qu'il n'en finit plus de dépoussiérer.

Boites à rythme à l'appui, le résultat est aussi coloré que dans "With Love" sorti il y a deux ans. A l'époque, déjà, et avec autour de lui de facétieux Wonder Rabbis, Yom n'hésitait pas à se grimer en super-héros de l'amour au 36ème degré, surchauffant les musiques juives d'autrefois dans des mélopées post-rock. La transe est encore plus affirmée dans "The Empire of Love", chaque titre dessinant une odyssée cyber-galactique dont Manuel Peskine aux claviers, Sylvain Daniel à la basse ou aux synthés et Emiliano Turi aux drums prolongent les surgissements magmatiques.

Et en même temps, elle est toujours là, intacte, poignante et 100% acoustique, cette sonorité de clarinette propre à Yom, y compris lorsqu'elle s'hallucine sur un Everest de décibels. L'Orient, la Turquie ou encore les Balkans ne forment plus qu'un seul cosmos. Entre deux comètes de tendresse ("Angel"), un délire cosmique à la Sun Ra croise des arrangements façon French Touch. Un orchestre à cordes jaillit d'un synthé pour mettre en orbite le magnifique "Burning" tandis que "Rebirth & Party" a tout d'un Big Bang technoïde tel un "Yom Attack" nous arrachant à notre propre espace-temps.

Une sirène passe: Julie Mathevet, soprano à l'Opéra de Paris. Rien à voir, donc, avec une création numérique, contrairement à l'hôtesse de l'air de l'espace et au robot androïde qui scande, vers la fin du disque, "Open the fucking doors of love !" Sons électroniques, vocalises coloratures, instruments chauds (clarinette, mais aussi violoncelle)... Rarement une musique de chair n'aura fait aussi bon ménage avec des machineries à ce point ingénieuses jusqu'à nous faire vibrer corps et coeur. Le tout dans une ambiance au final fort joyeuse, le voyage dans l'espace étant à fortiori le meilleur moyen de nous faire perdre tout centre de gravité.

"The Empire of Love", Yom, Jazz Village/Harmonia Mundi