Samedi 26 juillet 2014 par Ralph Gambihler

Sacco et Vanzetti

Sacco et Vanzetti, nos frères. C'est donc d'abord à travers vous que nous arrivèrent ces effluves transatlantiques qui, lorsqu'Ethel et Julius Rosenberg passèrent eux aussi sur la chaise électrique quelques décennies plus tard, inspirèrent à Jean-Paul Sartre ce diagnostic implacable:  "Attention, l'Amérique a la rage"... Il y eut aussi Angela Davis, ma soeur. Mais c'est bien vous, les deux ritals, les deux anars, les deux pouilleux qui, les premiers, firent surgir  "l'autre Amérique" en face de l'officielle, celle qu'on avait décidé de liquider après s'être bien repu de sa force de travail mais qui allait survivre dans les coeurs et les esprits.

em>"Cette agonie est votre triomphe", chantait Joan Baez dans le film inoubliable que Carlotta Films ressort début août. La B.O -l'hymne, plutôt- est signée Ennio Morricone. Derrière la caméra, Giuliano Montaldo. Prologue en noir et blanc, avec les grandes rafles du ministre Palmer au début des années 20. Confrontée à des attentats anarchistes et à un climat social bouillonnant, les autorités ne font pas dans la nuance. Communistes, étrangers, grévistes... On met tout ça dans le même sac et on en profite, dans la foulée, pour défenestrer depuis un commissariat de police l'éditeur anarchiste Andrea Salsedo.

C'est avec vous deux, Sacco et Vanzetti, que le film passe en couleurs. Hold-up sanglant dans une manufacture du Massachusetts, enquête musclée... Ils ont le profil idéal, ces deux Italiens qui ne parlent pas bien l'anglais et se contredisent pour ne pas révéler au grand jour leurs activités militantes. Procès à charge, témoins manipulés, ligne de défense un peu incertaine, également. Faut-il transformer l'audience en procès politique ou seulement s'en tenir aux faits?

La mise en scène, elle, s'en tient aux faits. Pas de pathos, autopsie à vif d'un pays malade puis l'étau qui se resserre, peu à peu, sur deux innocents qui n'ont jamais voulu jouer les martyrs. strong>Riccardo Cucciolla aura justement le prix d'interprétation, à Cannes, en 1971, pour avoir si bien incarné les brisures de Nicola Sacco, sa peur de mourir et son passage en clinique psychiatrique, dans les sept longues années qui le séparent de son exécution.

Mais c'est surtout le ténébreux Gian Maria Volontè qui impressionne, aujourd'hui, avec son regard de braise, sa moustache en guise d'armure et ce sublime monologue devant le tribunal: "Vous avez donné un sens à la vie de deux pauvres exploités", lancera Bartolomeo Vanzetti à ses accusateurs... C'était le 23 août 1927. Les manifs, partout dans le monde (avec, au passage, une sensibilité inédite du mouvement communiste international au sort de deux anarchistes...) n'y ont rien fait. Plans serrés sur les deux chaises électriques, masque de cuir sur la tête des condamnés. Dans sa dernière lettre, Nicola Sacco écrivait "N'oublie jamais, mon fils, le bonheur simple des jeux d'enfant"...

Sacco et Vanzetti (1971), Giuliano Montaldo, reprise en salles le 6 août (Carlotta Films)