Vendredi 22 mars 2013 par Ralph Gambihler

Free Angela

De quoi a-t-elle été l'égérie au final ? Du "Black Power" au féminin singulier ? D'un communisme à la coupe afro ? De cette "Autre Amérique" dont elle faillit à son tour prolonger le requiem après Sacco et Vanzetti puis Ethel et Julius Rosenberg? Au carrefour de l'oppression de classe, de genre et de race, Angela Davis continue à porter tous ces combats et ces élans collectifs qu'un président Noir à la Maison-Blanche n'a pas suffi, semble-t-il, a rendre caducs.

"Free Angela and All Political prisonners", de la jeune réalisatrice américaine Shola Lynch, témoigne donc pour les générations du 21e siècle de ce qu'une native de l'Alabama, ("La Johannesburg des Etats-Unis", dit-elle au micro de TSFJAZZ...) va endurer au début des années 70 lorsqu'elle est soupçonnée de complicité de meurtre suite à l'évasion manquée de trois Black Panthers parmi lesquels le militant noir George Jackson. Déjà révoquée de son poste d'enseignante par le gouverneur de Californie de l'époque, un certain Ronald Reagan, Angela Davis sera ensuite pourchassée par le FBI avant d'être arrêtée puis menacée de peine de mort. Un mouvement de solidarité internationale (100 000 manifestants à Paris à l'appel des Jeunesses Communistes...) contribuera, heureusement, à empêcher l'irréparable.

Bénéficiant d'une profusion d'archives, le documentaire de Shola Lynch rend déjà justice à la beauté d'Angela Davis et à ses yeux espiègles d'éternelle insoumise. Panthère noire plus que déesse rouge, elle subjugue autant qu'elle défie les caméras qui tentent de percer ses éventuelles faiblesses. Ses accusateurs vont d'ailleurs changer de fusil d'épaule en cours de route. Après avoir fait d'Angela Davis une conspiratrice politique, ils la transforment en comploteuse amoureuse prête à verser le sang pour faire libérer George Jackson auquel elle n'était pas seulement liée sur le plan militant, comme en témoignent des lettres bouleversantes écrites en prison. "La vie politique et la vie intime sont profondément intriquées", dixit Angela Davis, toujours au micro de TSFJAZZ...

40 ans après, le timbre de son phrasé demeure à la fois posé et déterminé, notamment lorsqu'elle évoque ses combats d'aujourd'hui contre la peine de mort et le système carcéral américain. On peut toujours y entendre, cependant, même en sourdine, le cri d'Abbey Lincoln dans la fameuse "Freedom now Suite" de Max Roach qui rythme la B.O. du documentaire. On peut aussi y percevoir une colère toujours intacte lorsque Angela Davis évoque le traitement que l'Amérique a réservé à Nina Simone qui lui avait rendu visite en prison (Vraiment sublime, cette histoire du ballon caché sous l'oreiller)...

On peut se laisser charmer, enfin, par cette douceur et cette intelligence du sourire qui inspirèrent en leur temps les Rolling Stones mais aussi le magnifique "Ode to Angela" de Harold Land et Bobby Hutcherson... De quoi vouloir donner raison, une fois de plus, à Jean Genet lorsque, après avoir rencontré Angela Davis, il avait affirmé que la Révolution était impossible sans la poésie des révoltes individuelles.

"Free Angela and All Political Prisonners", documentaire de Shola Lynch (Sortie en salles le 3 avril). Angela Davis sur TSFJAZZ (traduction assurée par Michel Zlotowski), ce lundi 25 mars, à 19h, dans Les Lundis du Duc, avec la participation de Paola Genone et Bernard Loupias, journalistes jazz à "L'Express" et au "Nouvel Observateur".