Mercredi 20 août 2014 par Ralph Gambihler

L'Audience

On n'ose pas s'approcher d'elles tellement qu'elles sont âpres, minérales, radicales. Un brin de mystère, super ! Un bloc d'énigmes, bof...  C'est pourtant bien en abordant ce type de femmes qu'Oriane Jeancourt-Galignani, rédactrice en chef des pages livres de la revue Transfuge, parvient à toucher le lecteur. Après la poétesse Sylvia Plath, c'est Deborah Aunus, prof de maths fantasmée en vénus callipyge dans un bled paumé du Texas, qu'elle transfigure d'un trait de plume cristallin.

Elle ne paie pas de mine, pourtant, la Debbie, à son procès. Kilos en trop, visage pâlichon, regard inexpressif... Silence buté, surtout, face aux jurés qui aimeraient bien comprendre comment une accusée si peu à son avantage a pu faire des folies de son corps avec quatre lycéens alors que son mari de soldat moisissait en Afghanistan. Des lycéens majeurs, certes... Sauf qu'au Texas, ce type de relations est passible d'emprisonnement.

Inspiré de faits réels, L'Audience nous rappelle à quel point, au moins depuis La Lettre Ecarlate, le puritanisme américain raffole des chasses aux sorcières. A quoi bon s'expliquer quand on est déjà condamné ? A cette question, Oriane Jeancourt-Galignani en rajoute une autre: qui sommes-nous pour juger les autres ? Entre la procureur qui rêve d'un procès politique sous le  regard amouraché du président du tribunal, la jeune  journaliste qui s'imagine déjà faire son grand direct au journal du soir et les  jurés englués sous la chaleur parce que l'air climatisé ne fonctionne pas dans la salle d'audience, la galerie de portraits vaut largement le détour.

Mais c'est surtout lorsqu'elle s'insinue dans le spleen de son héroïne que la romancière fait mouche. Avant même de tromper son mari, Deborah Aunus trompe son ennui. "Un homme en chasse un autre, c'est sa seule manière de survivre", et "quand la brutalité a un rythme de 18 ans", c'est encore plus propice à une recomposition de soi au sein d'une nouvelle "Arcadie"... Rien à voir avec l'amour. Ni même, d'ailleurs, avec le plaisir en tant que tel. Elle le sait fugace, le plaisir, Deborah Aunus... Dans le sexe, il y aussi l'absence. 'L'absence de quoi ?", s'écarquille le jeune boutonneux à qui elle fait cette confidence. "D'un peu de tout, des gens, de leurs questions, des journées qu'ils t'imposent"...

Deborah Aunus ou la recherche d'une autre "audience", donc, jusqu'à ce tribunal-moutonnière qui la pétrifie de terreur... Mais a-t-on vraiment le choix de l'audience ? Comment échapper au regard de Sam, le gamin asthmatique qui essaie de ne pas réveiller le "poulpe" dans sa poitrine, qui sait que ce n'est pas le moment de compliquer la vie de sa mère, qui a du mal à la reconnaître à la télévision au moment du verdict... Sylvia Plath aussi était maman. Entre Médée et Antigone, Oriane Jeancourt-Galignani a le don de ressusciter les héroïnes de tragédies grecques.

 

L'Audience, d'Oriane Jeancourt-Galignani (Albin Michel), en librairie le 20 août. Coup de projecteur avec la romancière, sur TSFJAZZ (12h30), lundi 1er septembre.