Mourir est un art, comme tout le reste
Cette phrase dans "Ariel", le recueil de poèmes paru après sa mort: "Les miroirs tuent ou parlent, ce sont les chambres obscures où l'on torture devant témoin"... Ravagée par la fièvre, l'eczéma et le renoncement à être aimée, la si jolie jeune femme d'autrefois ne supporte même plus son propre reflet. Sylvia Plath va ouvrir le gaz, dans quelques instants, les tripes aussi tordues et nouées que les serviettes avec lesquelles elle a calfeutré la porte de sa cuisine. Il n'a jamais fait aussi froid, à Londres, qu'en cette nuit du 11 février 1963.
50 ans après, c'est Oriane Jeancourt Galignani, toujours en première ligne parmi les francs-tireurs de la revue "Transfuge", qui nous fait revivre de l'intérieur la 30e et dernière année de Sylvia Plath. Plume tendue, au plus près de l'intime... Douce, également, même dans la cruauté. Flash-back, citations de l'oeuvre en italique, souvenirs reconstitués ou imaginés... Ainsi entremêlés, les différents modes narratifs s'harmonisent dans une même fulgurance, bien loin de la poétesse éthérée ou militante que les féministes anglo-saxonnes continuent à entretenir.
Car en s'appuyant sur le "Ariel" post-mortem et non pas sur l'oeuvre la plus connue de Sylvia Plath, "La Cloche de Détresse", qui en fit en son temps un Salinger au féminin singulier, Oriane Jeancourt Galignani s'est autrement imprégnée de l'univers de son héroïne. Elle en saisit d'abord les hantises. Le père, immigré allemand tellement peu immunisé contre l'idéologie nazie... La grossesse, la maternité, la peur d'être une mauvaise mère...
Et puis bien sûr celui dont elle finit par se séparer, l'ambitieux et infidèle Ted Hugues, poète, comme elle sauf que lui, tout le monde se l'arrachait. Il est du genre rapace, puis rongeur, "le visage au cordeau, la peau brune et cette salope de beauté qui ne s'estompe jamais"... Elle en devient folle, d'amour puis de rage. Un peu comme une autre maniaco-dépressive qui s'appelait Zelda Fitzgerald.
Le charnel se dissout dans la compétition entre ces deux là, le corps d'une fille sexy se perd dans on ne sait quel poème, des abeilles vengeresses se mêlent de ce qui ne les regarde pas, un ballon tombe et explose sur le paillasson, un soir de Noël... Et elle se met à pleurer. Mais c'est aussi l'ironie féroce et la radicalité païenne de Sylvia Plath qu'on retient. Son oreille musicale, aussi, sur l'air du "Bye Bye Blackbird" de Miles Davis qui a sans doute à voir avec la rythmique atypique de ces derniers vers, comme si "l'oiseau de panique" qu'elle se refusait d'être parvenait enfin, jusqu'à sacrifier sa propre vie, à voler de ses propres ailes.
"Mourir est un art, comme tout le reste", d'Oriane Jeancourt Galignani (Albin Michel) Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 7 février, sur TSFJAZZ (12h30)