Lundi 13 octobre 2014 par Ralph Gambihler

Gone Girl

Soupçonner David Fincher de jouer au malin n'a pas grand sens puisque David Fincher est LE Malin, par définition. Un diable de metteur en scène, sur le fond comme sur la forme. C'est pour cette raison que dans le cocon amniotique d'un thriller de samedi soir, le rire sardonique de Gone Girl résonne avec autant d'impact.

Car c'est bien dans le registre inédit chez Fincher du vaudeville nihiliste adapté ici d'un livre à succès -Les Apparences, de Gillian Flynn- que se déploie le couple faussement modèle incarné par Rosamund Pike, (mutante hitchcockienne) et Ben Affleck (idéalement falot pour se mouler dans la plasturgie "fincherienne"). Leur idylle, à ces deux-là, débute sous les auspices aussi romanesques que factices d'une tempête de sucre-glace abritant leur premier baiser. C'est leur bonheur, en fait, qui est sucré et qui va fondre comme neige au soleil d'un Missouri à la lumière aussi diurne qu'inquiétante.

Sentiments, signes, objets... Tout, chez Fincher, est ainsi frappé du sceau de la réversibilité, de la manipulation, du machiavélisme.  Au bout de cinq ans de mariage, l'épouse de moins en moins comblée disparaît mystérieusement. Il la trompait, elle s'étiolait. Il s'avachissait, elle se braquait. Des traces de sang sont relevées dans la cuisine. De quoi orienter la police vers le coupable idéal. Evidemment, quand elle voit ce genre de couple, l'Amérique ne change jamais de trottoir. Surtout si c'est pour en ausculter, par médias interposés, les relents mortifères.

Et puis soudain, elle ne sait plus à quel saint se vouer, cette Amérique ! Fincher le Malin les a de toute façon tous liquidés, les saints. Qui est coupable ? Qui est innocent ? Le spectateur se retrouve, quant à lui, encore plus tourneboulé, soumis à une double spirale temporelle, le récit étant pris en charge tour à tour par le mari et sa victime supposée, qui est peut-être tout sauf une victime... Quand, sur ces entrefaites, surgit un personnage tout droit sorti de Seven, on se dit que la boucle est bouclée sauf que là encore, on est dans le subterfuge, le personnage-prétexte à un épilogue aussi croustillant que démoniaque. "Croire que l'on aime, c'est déjà aimer",  observait autrefois Guillaume Orignac (David Fincher ou l'ère numérique, éditions Capricci) pour résumer le langage amoureux chez David Fincher.

On n'en est même plus là, apparemment... Il ne reste plus que deux zombies en couple réduits, à l'instar de Mark Zuckerberg dans The Social Network, à "recoder le monde pour n'avoir plus à le subir" (on emprunte, là encore, la formule à Guillaume Orignac) et qui s'acharnent à reprendre le contrôle de leur image en la délivrant du moindre substrat. Billy Wilder aurait adoré ce purgatoire conjugal que David Fincher reformate tout en ricanements et en apesanteur, le diable même plus chevillé au corps.

Gone Girl, David Fincher (le film est sorti le 8 octobre)