Foxcatcher
Comment, à pas de velours, en sourdine et sans jamais se prétendre au dessus du lot, un grand film voit le jour. Foxcatcher, de Bennett Miller, n'a pas volé son prix de la mise en scène à Cannes, et encore moins l'éventuel Oscar qui pourrait récompenser prochainement son réalisateur malgré une sérieuse concurrence mexicaine dont on sera, de toute évidence, amené à reparler.
La folie d'une époque, celle de la fin des années Reagan, enrobe avec maestria l'édifiante et véridique odyssée des frères Schultz, valeureux lutteurs ayant eu la malchance de rencontrer sur leur chemin John E. du Pont, héritier détraqué des fameux Du Pont de Nemours. Ce milliardaire excentrique, passionné par les oiseaux jusqu'à en adopter l'inquiétant profil ornithologique, va s'imaginer être le gourou des deux frangins alors qu'il est dénué de toute compétence sportive.
L'aîné, apparemment plus équilibré, tente de résister à cette emprise avant d'abdiquer. Le cadet, bodybuildé en winner mais aussi seul, aussi désespéré et aussi anti-Rocky que le Wrestler campé autrefois par Mickey Rourke dans le film de Darren Aronofski, devient une proie désignée, prêt à troquer son intégrité pour quelques médailles olympiques. Avec le confort financier en bonus.
La force de la mise en scène tient à l'animalité du propos mais aussi à sa froideur clinique apparente. La scène de lutte qui ouvre le film, toute en chorégraphie fraternelle, cède peu à peu à l'angoisse diffuse que fait naître le comportement mégalo et étouffant du milliardaire. Des trouées de folie -un miroir fracassé, un coup de feu dans la neige- perforent l'habillage d'une écriture de la déambulation, voire de la contemplation, se laissant happer par des paysages aux couleurs pâles magnifiquement filmés. Trois acteurs au sommet -Channing Tatum en gosse déchu, Mark Ruffalo en grand frère impuissant, Steve Carell en pervers psychotique- transfigurent ce traité de lutte à l'ombre du grand capital.
Foxcatcher, de Bennett Miller (le film est sorti mercredi). Coup de projecteur, sur TSFJAZZ (12h30), avec Vincent Malausa, critique aux Cahiers du Cinéma.