Autoportrait de Paris avec chat
Paris, aujourd'hui: les mânes de Jean Moulin aux Invalides, le recueillement souillé à Nation et puis, du côté de Saint-Germain-des-Près, Dany Laferrière dessinant la ville-lumière de ses rêves au micro de TSFJAZZ. On parle de Django, d'Hemingway, de Jorge Luis Borges... Oasis d'esprit et de douceur rieuse dans un monde effrayant.
On le conjurait de signer un grand livre d'académicien? Tu parles ! Désormais revêtu de l'habit vert, Dany Laferrière préfère se dessiner avec des cheveux jaunes, flanqué d'un drôle de chat noir. On dirait un pied-de-nez, ce roman dessiné grand format avec des textes écrits à la main qui se faufilent de traviole, à côté, en haut ou alors tout en bas des planches. Aucune trace de dilettantisme, pourtant, dans cette assomption de fantaisie nimbée de spleen qui renvoie à l'art naïf (pas tant que ça, en vérité...) des peintres haïtiens auprès desquels Malraux s'était ressourcé une dernière fois avant de tirer sa révérence.
On est là au cœur de ce que peut signifier une liberté d'auteur. Je suis écrivain, donc je dessine, même si je n'ai pas appris à dessiner. Vous m'attendiez en mode tropical ? Vous guettiez le nouvel essai des Amériques ? C'est une autre balade que je vous propose: Paris, un studio près de la gare de l'Est. Dany Laferrière y passe beaucoup de temps désormais, adepte du coup de balai (Balayer est un acte subversif car il permet de penser) et spectateur des foules d'affamés que la pauvreté ingurgite, vague après vague. Paris sous son regard. Des couleurs et des lettres.
Une mémoire, également. L'écrivain charmeur et la ville-lumière ne font bientôt plus qu'un lorsque surgissent les fantômes de Villon, Balzac et Apollinaire. Le voyage dans l'espace devient alors un voyage dans le temps où vont s'engouffrer tous ces citoyens du monde qui, à un moment de leur parcours, ont fait de Paris leur capitale intime, remodelant pour certains leur américanité: les García Márquez, les Basquiat, les Woody Allen, mais aussi le trio Black Power Richard Wright, James Baldwin et Chester Himes, sans oublier Duke Ellington...
C'est à Django Reinhardt que Dany Laferrière consacre finalement le plus de pages, confirmant à quel point ce Paris dessiné est d'abord un Paris swingué et mélancolique, déplié de façon souterraine par plaques de couleurs et plaques d'émotions, comme le dit à notre micro l'auteur de L'Énigme du retour et Tout bouge autour de moi. "Après l'interview, on fait quelques pas ensemble. La pluie a cessé. Paris nous appartient."
Autoportrait de Paris avec chat, Dany Laferrière (Grasset). Coup de projecteur avec l'auteur, ce vendredi 30 mars à 13h30.