Mardi 15 janvier 2019 par Ralph Gambihler

Rompre

Tout ce ramdam autour des femmes de plus de 50 ans... Ceci étant, Yann Moix n'en est pas à son coup d'essai en la matière. "J'aime les femmes jeunes parce qu'elles n'ont besoin de rien, justement, pour s'émoustiller. Elles sont l'émoustillement incarné, toutes de nature, et non encore de culture. Les jeunes filles, les jeunes femmes baisent épaulées par l'inné", écrivait-il dans Naissance, cette œuvre-monstre de plus d'un millier de pages.

Personne n'avait relevé. Une interview dans Marie-Claire, c'est beaucoup plus frissonnant. Reste à saisir pourquoi cette thématique émerge alors qu'il n'est plus vraiment question de ces penchants générationnels dans Rompre. Ici, il est seulement question d'une banale rupture amoureuse: Emmanuelle est partie avec un professeur de yoga. Elle en avait ras la soucoupe du romancier acariâtre pétant un plomb pour une phrase de trop et suintant le tourment l'amour à peine éclos. "La rupture, écrit-il, est inscrite dans mes amours comme un infarctus dans le myocarde".

Femmes de plus de 50 ans, pas de regrets ! Au rayon autoportrait, Yann Moix se dézingue avec toute la complaisance requise. Il bénéficie pour cela du renfort d'un intervieweur imaginaire auquel le lecteur  est censé s'identifier. Dés que l'interviewé va trop loin, c'est le rappel à l'ordre. Le procédé n'est pas renversant, mais dans le lâcher-prise et les miroitements d'un ego au cœur disloqué, quel régal ! Sur le couple, par exemple: il "brime et surveille ses occupants, il est équipé de miradors". Les gens en couple ? "Accolés l'un l'autre ainsi que des glus, ils ne bougent pas, il ne bougent plus. Ils sont fixes dans les années. Ils sont annexés, indexés l'un à l'autre".

C'est un autre mode de la vie à deux que l'auteur privilégie: "La présence me multiplie, la compagnie me mutile; la présence m'amplifie, la compagnie m'atrophie". L'exercice tient souvent du masochisme. Quelle lectrice de Rompre accepterait de tomber dans les bras d'un souffreteux aussi empli d'orgueil, surjouant ses états d'âme, avouant même que toutes les femmes sont pour lui interchangeables ? Énième version de la crise du mâle occidental ? Sur ce point, Houellebecq reste indépassable, même en jouant la provocation médiatique pour lui disputer un peu d'espace en cette rentrée de janvier...

La spécificité Moix est ailleurs. Cet appel à ce que l'être aimé reconnaisse sa part littéraire, cette invocation de Péguy parti mourir au front en raison d'un chagrin d'amour ("Il est mort par la France et non pour la France"...), ce paragraphe hilarant sur la musique contemporaine qui ne l'aide vraiment pas dans l'épreuve, alors qu'au contraire, Bill Evans... "J'ai toujours aimé chez les jazzmen le fait qu'ils souffrent encore plus que moi", lâche-t-il au micro de TSFJAZZ. Les mots bleus, comme les notes de la même couleur, lui vont vraiment bien.

Rompre, Yann Moix (Grasset). Coup de projecteur avec l'auteur ce mercredi 16 janvier sur TSFJAZZ (13h30)