Naissance
Solos inassouvis, chorus déchaînés. Une grille d'accords de 1143 pages. Le Free le plus infernal, mais en mode symphonique. Il a tort, Yann Moix, de ne pas aimer le concept d'œuvre. La sienne fait déjà date, au-delà même de ce que l'on peut attendre d'une rentrée littéraire.
On le connaissait si peu. On avait si peu envie de le connaître, surtout, tant il dégageait l'image d'un écrivaillon BHLisé aussi énervé qu'énervant, gratte-papier tendance gratte-caméra (De "Podium" à "Cineman", un seul et même "Au secours !"), piailleur faisant écume dans le clapotis germanopratin... Et puis soudain, la densité. Soudain l'Orléanais découvrant que "Paris est une ville de tête à claques où je me suis pris bien des gifles". Soudain le jazzfan halluciné trop fier d'être né le même jour qu'un concert de musique sacrée donné par Duke Ellington ("Bach avait recommencé sa vie dans ce nègre élastique et dru")... Soudain Céline ressuscité dans un récit "épais, glanduleux, visqueux, radical, oblong, coupant, muni de poils étoilés" parce que le lecteur, écrit Yann Moix, "je l'invente à chaque mot. Et à chaque mot j'en détruis un. Et à chaque mot j'en crée un de toutes pièces".
Il est vrai que certaines pages saturées de listes démoniaques semblent avoir vocation à rester vierges. L'oeil se crispe, également, face à maintes digressions politico-ésotérico-religieuses pour auteur mal armé et lecteur désarmé. Sauf que Moix ne cesse de revenir au sommet. Et que les sommets sont de plus en plus élevés. Et qu'il a peut-être fallu tomber un peu pour se sentir monter si haut, embarqué dans un cosmos parallèle où l'on croise Miles Davis en plein concert, André Gide dans un âge plus que mûr ou encore Brian Jones "dans les eaux vertes de sa piscine éclairée"...
Sa naissance, donc... Ses infects parents que le romancier-marathonien noie sous un déluge de férocité baroque et burlesque, jusqu'à s'imaginer circoncis de naissance en plein milieu catho ou alors traîné de force dans un salon de l'enfance battue. "Pluie de chicots. Djihad facial. Mon père obtient 229 cris parfaits"... Meurtre du géniteur ? Crime d'indifférence, plutôt. Non pas tuer le père, mais l'oublier ("Nous n'avons rien à nous dire, il n'a fait que secouer notre mère"...) en s'inventant un autre père spirituel en la personne de l'extravagant Marc Alstophe Oh, auteur raté et dandy au coeur d'artichaut. On ne s'en lasse pas, de Marc Alstophe ! Sa logorrhée tordante façon Claude Rich dans "Les Tontons Flingueurs", sa philosophie de l'existence défiant tout ce qui est aigreur, formatage et mortification... Des mentors comme ça, on en rêve !
Sa renaissance, donc...Yann Moix a eu 45 ans, et il en fait à la fois un âge de fureur et d'humilité (Magistral dialogue entre le Yann Moix 1989 et le Yann Moix 2013 !), dynamitant au passage tout ce qui, au registre "hommes/femmes, mode d'emploi", relève d'un réceptacle à on ne sait quel délire romantique : "Une femme est une femme. C'est lui faire immense injure que de la reléguer aux célestes peuplades, aux forestiers recueillements, aux floréales douceurs, quand la nature -la vraie- a décidé que ces déesses inventées de toutes pièces par de chagrins cerveaux préféraient la visite d'une éméchée fanfare à celle d'un troubadour en collants"... Le cas Yann Moix, on l'aura compris, n'a pas fini d'affoler les radars de la bien-pensance. On attend simplement de retrouver, ailleurs, une rage d'écrire et un swing de l'âme qui nous aident à ce point à vivre.
Naissance, Yann Moix (Grasset). Coup de projecteur avec l'auteur sur TSF JAZZ, ce jeudi 19 septembre à 12h30.