Dimanche 15 décembre 2019 par Ralph Gambihler

Quand Anna Karina faisait glisser ses lunettes noires...

Il est en train de les enterrer, toutes: Anne Wiazemsky il y a deux ans, Anna Karina à présent. Agnès Varda qui voulait l'arracher à sa tanière dans son dernier film est partie elle aussi au mois de mars. Jean-Luc Godard n'a plus que ses archives en pellicule pour mémoire. Il les triturait encore, récemment, dans son fameux Livre d'Image, ressuscitant cette séquence bouleversante du mentir-vrai dans Le Petit Soldat  lorsqu'il faisait dire à sa muse d'autrefois:  "Je ne suis pas triste que vous partiez, je ne vous aime pas, je ne vous embrasse pas tendrement"... 

Sept films ensemble, et la certitude que c'est surtout avec Anna Karina que le travelling façon Godard a commencé à être une affaire de morale, selon ses propres termes. De Vivre sa vie à Alphaville, en passant par Bande à part, il l'a filmée et magnifiée le cœur brûlant. Peut-être a-t-il aussi fini par la carboniser face caméra, mais c'est une autre histoire. Qu'importe, la Nouvelle Vague, c'est d'abord, et pour l'éternité, cette Danoise ultra-sensible, l'étang bleu-gris de son regard, la sensualité de son phrasé, sa "ligne de hanche" collée à sa ligne de chance, comme le chantait Belmondo dans Pierrot le Fou.

Sa carrière peut laisser quelques regrets. Sous d'autres latitudes, il lui fut difficile de sublimer ses apparitions comme c'était régulièrement le cas en Godardie. Seul Jacques Rivette aura réussi à la rendre aussi intense dans La Religieuse. Et Serge Gainsbourg aussi magnétique dans cet album-culte de l'an 66, Anna, quand son accent, dans la palette gainsbourienne, laissait augurer le même trouble que celui de Jane Birkin quelques années plus tard... Ainsi devint-elle icône parmi les icônes, Sous le soleil exactement ou alors "jusqu'au bout de la nuit" dans ce Ne Dis Rien extrait du même album et qui nous chavire tel un slow aux adieux lorsqu'on revoit la vidéo sur YouTube...

Comme nous chavire un souvenir personnel datant d'il y a plus d'une dizaine d'années. Parti à sa rencontre avec le micro TSFJAZZ et ne la trouvant pas à la bonne porte dans son immeuble, j'étais redescendu scruter les boîtes aux lettres pour vérifier si je ne m'étais pas trompé d'étage. Elle avait alors surgi du porche d'entrée, en retard, faisant furtivement glisser ses lunettes noires en lâchant sourire aux lèvres: "Laurent ? "... Trop d'étoiles dans les yeux, ce jour-là, pour me souvenir de l'interview qui suivit.

Anna Karina, 22 septembre 1940-14 décembre 2019

 

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