Judas and The Black Messiah
Comment ne pas applaudir, dans un premier temps, à la résurection à l'écran de Fred Hampton, figure légendaire des Black Panthers? Charismatique au possible, ce militant initia à la fin des années 60 la fameuse "Rainbow Coalition", réussissant à fédérer divers gangs ethniques, y compris des blancs, contre cette crapule de Richard Dailey, le maire corrompu, raciste et sécuritaire de Chicago. Fred Hampton tenait aussi à montrer que les Black Panthers ne faisaient pas seulement office de milice citoyenne face à la brutalité policière. Aide juridique, lutte contre la tuberculose, petits-déjeuners gratuits pour les enfants de la communauté... C'en était trop pour le FBI qui n'hésita à le liquider dans son sommeil le 4 décembre 1969.
Ce "messie noir" avait de quoi concentrer toute l'attention de Ryan Coogler (aux manettes du blockbuster à succès Black Panther...) à la production et de Shaka King (un disciple de Spike Lee...) à la réalisation, surtout à l'heure où l'Amérique se remet à peine du trauma George Floyd. L'équipe du film a préféré mettre en avant William O'Neal, un escroc de bas étage qui, pour échapper à la prison et contre de l'argent, va infiltrer les Black Panthers pour le compte du FBI jusqu'à devenir le garde du corps rapproché de Fred Hampton.
Judas & The Black Messiah se donne du même coup un redoutable cahier des charges: cerner les affres d'une taupe et retracer les idéaux d'une organisation, jouer la carte du thriller tout en brossant une odyssée politique, le tout emballé dans un récit intentionnellement biblique, comme le suggère son titre en gros caractères. Réussir un tel pari aurait nécessité un certain doigté, un traitement moins bourrin, des personnages et des interprètes plus inspirés. Tout ce que le réalisateur Steve McQueen avait réussi, en somme, dans son récent Small Axe dont le premier volet était justement centré sur les Black Panthers made in London.
Ici, malheureusement, rien ne vibre malgré une photo soignée et quelques morceaux de bravoure lors des discours enflammés de Fred Hampton. On est surtout frustré par le peu d'échanges entre le traître et sa victime: comment l'un est transformé -ou pas- par l'autre, la part de méfiance ou d'affection qui les relie, les ébullitions de l'âme lorsqu'on est à la fois dedans et dehors... Tous ces enjeux d'une confrontation digne de ce nom, le staff de Judas & The Black Messiah les court-circuite, préférant rester à la surface à moins qu'il ne soit guère senti capable de dialectiser pareille situation.
Il ne suffit pas, en fin de compte,de faire rugir en guise de leitmotiv les saxophones du génial The Inflated Tear de Roland Kirk pour donner du souffle à ce biopic sans saveur. Il ne suffit pas non plus d'exceller dans le "spoken word" pour transmettre toute l'aura du vrai Fred Hampton. C'est à lui qu'on aurait dû remettre un oscar posthume et non pas l'oscar du second rôle (!!) à Daniel Kaluuya qui nous avait pourtant tellement scotché dans Get Out et dans Queen & Slim.
Judah and The Black Messiah, Shaka King, Canal VOD.