À la vie à la mort
Devant un cimetière, ils se racontent des histoires de caveau. Hélène, qui vient d'enterrer son père, se demande s'il reste encore une place pour elle: "La branche nous a gentiment dépannés à la mort de maman. À l'époque, papa avait avait été pris de court évidemment, et dans la panique, il avait trouvé cet hébergement provisoire qui a tellement duré qu'il a fini par réserver sa place à côté de sa femme. Et moi ? Je vais où ? ".
Où vont-ils, oui, au-delà du nombre de places disponibles dans un caveau... Question à laquelle on pourrait rajouter: qu'ont-ils fait de leur vie ? Avec l'humour vache et la folie douce qui le caractérisent depuis qu'il a entamé une dramaturgie de nos névroses contemporaines (d'abord en solo avec Mon ami, Louis, puis en duo et en trio avec Un couple et Veillée de famille), Gilles Gaston-Dreyfus met en scène une amitié à trois pôles une fois la cinquantaine bien dépassée. Hélène, Paul et Joseph se cabrent et se détendent, s'engueulent et s'étreignent, alternent entre le spleen et la futilité, toujours sans le moindre filtre. Plus qu'une mise à l'épreuve de leur amitié, c'est une mise à nu que le texte propose.
Avec sa voix caverneuse et fantasmatique, Anne Benoît oscille merveilleusement dans la peau d'Hélène entre le burlesque et ses propres ténèbres. Comme dans Veillée de famille, Gilles Gaston-Dreyfus interprète le personnage le plus sec du trio au départ avant que son Joseph n'apparaisse comme le plus dénudé de la bande. Nouveau venu dans l'univers si déjanté de l'auteur, l'humoriste belge Stéphane de Groodt s'y glisse avec virtuosité en campant un Paul tout en panache derrière sa puérilité apparente, tantôt dans le mentir-vrai, tantôt façon pince-sans-rire.
Le scénographe Pierre-François Limbosch concourt à la réussite de la pièce avec de grandes photos projetées sur écran géant. Le cimetière est plus vrai que nature. Le fameux raccourci dans la forêt capte tout autant l'attention, surtout lorsqu'on s'aperçoit qu'il rallonge la balade. Lumière plus sombre, enfin, dans la maison d'Hélène. L'alcool aidant, le "à la vie à la mort" qui résumait le pacte de sang d'autrefois a tendance à tanguer, mais nos trois joyeux et parfois moins joyeux lurons auront fini par se redécouvrir. C'est en cela que la tonalité parfois féroce et la poésie extrême de l'absurde auxquelles à recours Gilles Gaston-Dreyfus s'avère à ce point vivifiante.
À la vie à la mort, Gilles Gaston-Dreyfus, au Théâtre du Rond-Point, à Paris, jusqu'au 12 février. Coup de projecteur avec l'auteur et interprète ce mardi 7 février, sur TSFJAZZ, à 13h30.