Mardi 2 mai 2023 par Ralph Gambihler

Salade grecque

Depuis son revigorant En Corps, Cédric Klapisch semble avoir retrouvé un groove et une sensibilité qui illuminaient jadis ses meilleurs films. Sa première série pour Prime Video en est une nouvelle illustration, même si cette Salade grecque héritière de L'Auberge espagnole et autres Poupées russes est parfois assaisonnée à tort et à travers. Il n'empêche que l'ensemble, par sa fougue, son côté fleur bleue et son regard à la fois emprunt de tendresse et de gravité sur une certaine jeunesse, suscite suffisamment de battements de cœur pour qu'on se dise: contrat rempli !

Première réussite, un saut générationnel d'emblée attachant. Romain Duris et ses tribulations amoureuses à l'ère d'Erasmus ne sont plus sur le devant de la scène. C'est sa progéniture qui tient désormais le haut du pavé, et à c'est à Athènes, berceau civilisationnel devenu l'épicentre d'une Europe en crise, que la fratrie formée par Tom et Mia pulse autant que les romances amoureuses qui l'environnent.

Le casting y contribue. En jeune rebelle larguant ses études pour bosser dans une association de migrants, Megam Northam n'est jamais aussi craquante que lorsqu'elle abandonne son masque de battante pour révéler ses failles. Quant à son aîné, alourdi par des rêves de start-up écolo (tendance "greenwashing") avant de se laisser lui aussi tanguer au rythme bourdonnant d'une cité débarrassée de ses clichés touristiques, c'est Aliocha Schneider, portrait craché de son grand frère, Niels (mais avec bien plus d'allant...), qui lui donne chair.

Un immeuble décati dont Tom et Mia héritent va dès lors déclencher autant de péripéties que de colocations. Migrants et étudiants privilégiés s'y mêlent, formant une tour de Babel dont Klapisch a toujours eu le secret. Même habileté dans l'art de tisser, au sein de cette communauté de tempéraments plus ou moins libérés, des affinités encore plus électives  entre tel et tel personnage. L'âme et le corps brisés par un premier amant à la toxicité insoupçonnée, Mia se console avec Noam, qui s'appelait autrefois Eloïse... Rapprochement tout aussi inattendu entre Tom, dont les origines sociales se voient pourtant comme le nez au milieu de la figure, et son exact contraire, Reem, une réfugiée syrienne pas si coriace qu'elle en a l'air.

On l'aura compris, c'est tout un inventaire de nouvelles préoccupations (migrants, transidentité, mais aussi #MeToo) que Cédric Klapisch cerne avec justesse et empathie. L'ensemble flirte parfois avec la revue de presse, il y a des lourdeurs, des tics de mise en scène (le split-screen, le téléphone qui sonne quasi-systématiquement pour annoncer un rebondissement...), et aussi quelques scènes prévisibles, mais cela ne nuit jamais véritablement à la cohérence et au dynamisme du propos. L'anarchie urbaine propre à Athènes crève l'écran, et les deux ou trois séquences qui mêlent enfants et parents, on pense notamment ici à une version décapante du fameux Conte de Noël d'Arnaud Desplechin, constituent un bel alliage d'émotion et de fantaisie.

Salade grecque, Cédric Klapisch, huit épisodes à voir sur Prime Vidéo.