Mardi 29 mai 2012 par Ralph Gambihler

Woody Allen: A Documentary

Passons sur les interviews des célébrités et autres fans du binoclard jazzfan. A l'image d'un Martin Scorsese de plus en plus auto-momifié, ces témoignages n'ajoutent rien à la légende. Ils apparaissent, surtout, aussi kitsch que dans "Zelig" où Woody Allen, justement, se moquait génialement du procédé. Passons également sur le rythme étrange de ce documentaire à la gloire de notre Woody national : les 20 dernières années sont carrément expédiées manu militari ( mais peut-être n'y a t-il pas grand chose à dire sur ces 20 dernières années...), alors que les débuts du cinéaste, au contraire, sont passés au peigne fin. Sans doute faut-il y voir là l'effet déformé et artificiel du rétrécissement pour grand écran d'un documentaire télé qui au départ prenait tout son temps pour ausculter l'âme du réalisateur new-yorkais.

Ces réserves mises à part, impossible de nier le caractère formidablement attachant de ce portrait de Woody Allen que nous livre le très classique Robert B.Weide. Le cinéaste, certes, n'y apparaît pas  sous un jour particulièrement sympathique. Sa nature profonde, on le sait, est une insulte quotidienne à l'impératif de jovialité. Il n'empêche que les archives, les anecdotes, et surtout les souvenirs d'une filmographie qui a connu des pics de génie pur, donnent tout loisir au spectateur de reconfigurer une oeuvre qui a connu bien des réajustements.

Le passage de la scène à la caméra, par exemple, est assez édifiant. Scénariste et auteur de sketches joyeusement inspirés, Woody Allen s'est rapidement fatigué de jouer les pitres contraints d'affronter des bébés kangourous dans un combat de boxe. De sa première expérience cinématographique il tire également comme enseignement qu'il lui faut désormais contrôler toutes les étapes de la fabrication d'un film, notamment en s'appuyant sur une production fidèle.

Pour le reste, c'est un réalisateur à l'ancienne qui pousse le pompon jusqu'à ne jamais se séparer de sa machine à écrire à laquelle il impose une technique du copié-collé qui vaut son pesant de cacahuètes... Il tourne... Il ne cesse de tourner, à raison d'un film par an. Là aussi, le docu apporte un éclairage intéressant sur l'insatisfaction permanente de Woody Allen. Il se veut le nouveau Bergman, tout en admettant que de sa prolifique escarcelle ne peuvent germer, par définition, qu'un ou deux chefs-d'oeuvre, guère plus. En vérité, il en a signés un peu plus, ne serait-ce que dans la mutation quasiment épistémologique qui l'a conduit à ce que ses personnages principaux soient des femmes et non plus lui, le bouffon lutin un peu épuisant au bout du compte.

Diane Keaton, Mia Farrow, Scarlett Johansson... Les deux premières l'ont aimé. Ce n'était pas forcément réciproque, comme le montre l'émouvante séquence avec Diane Keaton, et le pire fut parfois l'égal du meilleur (le retour de Mia Farrow sur le tournage de "Maris et Femmes" après l'épisode de la fille adoptive)... La 3ème a renforcé, semble-t-il, sa maturité "rohmerienne", même si la veine s'est un peu tarie ces derniers temps. Mélange d'épanouissement et d'inaccomplissements, le parcours de Woody Allen s'avère en fin de compte beaucoup plus passionnant que le tour un peu paresseux qu'il affecte au soir d'une filmographie qui n'a peut-être pas encore dit son dernier mot.

"Woody Allen: A Documentary", de Robert B.Weide (Sortie en salles le 30 mai) Coup de projecteur avec le réalisateur, au micro d'Elodie Vergélati, ce mercredi 30 mai à 7h30, 11h30 et 16h30