Vendredi 8 avril 2022 par Ralph Gambihler

Vortex

Premier motif de saisissement, cette triste et jolie chanson de Françoise Hardy, Mon amie la rose, avec laquelle débute le film. Ayant évidemment en mémoire le passé "hardcore " du réalisateur, la suite étonne encore davantage. Au vestiaire, les effets tape-à-l'œil et les climax aussi tétanisants qu'un peu vains. Le nouveau cauchemar de Gaspar Noé le possède autant que les précédents mais sans tapage, et surtout avec une profondeur de tendresse et d'humanité qui met ce nouvel opus au sommet de sa filmographie.

Dédicaçant son récit "à tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur ", Noé filme un couple à la dérive. Elle, surtout, dont la mémoire s'effiloche et qui perd la tête après avoir ausculté celle des autres -son boulot, c'était psychiatre. Lui, à côté, impuissant face au déraillement, retranché dans un livre qu'il est en train d'écrire sur la place du rêve dans le cinéma. Chacun ses échappatoires. Leur junkie de fils tente de donner le change, faisant assaut de sensibilité et de délicatesse, mais il a aussi ses problèmes à gérer.

Dans le dernier Scorsese, déjà, les ex-mafieux terminaient en Ehpad. Tous égaux quand le corps se délabre et que malgré les livres et les affiches qui s'entassent dans l'appartement, la culture et le niveau social ne protègent plus de rien. Plus libre dans son écriture que le Amour de Michael Haneke ou The Father de Florian Zeller qui abordaient la même thématique, Vortex opte également pour une approche à fleur de peau du drame qui se joue.

Le procédé du split-screen qui divise l'écran en plusieurs parties en accentue la dimension organique: chacun des deux conjoints est prisonnier de son propre monde dans un appartement dont les couloirs deviennent des sortes de boyaux. Sauf que chez Gaspar Noé, ce dispositif n'écrase jamais la pâte humaine du récit, la douceur qui fait encore de la résistance malgré la cruauté de la situation, et les regards perdus qui tentent encore, pourtant, de s'harponner l'un l'autre...

Un improbable casting parachève ce que cette odyssée a d'unique et aussi de particulièrement poignant. Visage iconique de La Maman et la putain, Françoise Lebrun nous prend une nouvelle fois aux tripes dans un rôle moins loquace évidemment que chez Jean Eustache mais tout aussi viscéral. Dans le rôle du mari, c'est un autre mythe vivant, le réalisateur et maître du giallo italien Dario Argento, qui rend étonnamment  crédible à travers un jeu quelque peu décalé les maladresses du personnage qu'il interprète. Dans la peau si fragile, enfin, du fils junkie attentionné, Alex Lutz fait preuve de la même puissance de désenchantement que dans Guy, cet autre chant du cygne qui l'a rendu si populaire.

Vortex, Gaspar Noé, sortie en salles ce mercredi 12 avril. Coup de projecteur, le même jour, avec le réalisateur.