The Old Oak
Un appareil photo arraché, brisé... Yara, jeune migrante syrienne arrivée au Royaume-Uni par autocar avec d'autres réfugiés, ne pouvait guère imaginer pire accueil. Devra-t-elle renoncer pour toujours à fixer en images les couleurs d'une autre vie et les nouvelles rencontres auxquelles elle aspire? Perspective inconcevable pour Ken Loach. On n'arrache pas un appareil photo. Et encore moins une caméra. Alors à 87 ans, le réalisateur-militant repart au combat, bouclant avec ardeur sa trilogie pré-Brexit du nord-est de l'Angleterre entamée avec Moi, Daniel Blake et poursuivie avec Sorry, We Missed You.
Pas très loin de Newcastle, donc, et dans le souvenir toujours vibrant de la grande grève des mineurs trois décennies auparavant, la migrante (Ebla Mari, toute en sensibilité...) à qui un "autochtone" nationaliste a arraché son appareil photo s'en voit offrir un autre par le brave propriétaire du Old Oak (Dave Turner, prodigieux en ours cabossé de partout...), un pub aussi délabré que la condition ouvrière britannique après sa bataille perdue contre le néo-libéralisme des années Thatcher, Blair et autres Cameron...
Malgré les apparences, ces deux-là ont tant en commun: la croyance dans une solidarité devenue hors de saison, la conscience d'un passé qui ne reviendra pas... Le bistrotier fait découvrir à la migrante une cathédrale située dans les environs. Elle est bouleversée. Cela lui rappelle Palmyre. Il lui explique aussi que l'édifice n'appartient pas à l'Église, mais à ses bâtisseurs. Du Ken Loach pur jus...
Rien de manichéen, pourtant, dans l'approche du cinéaste. Epaulée par le fidèle Paul Laverty au scénario, la caméra prend aussi le temps de cadrer et de "regarder" avec respect les anciens compagnons de mine dont les maisons ne valent plus rien, même s'ils se laissent aller à des propos racistes. En mal d'espace pour se réunir après la fermeture de l'unique salle paroissiale, les voilà vent debout quand le brave cafetier, à l'instar du héros de Jimmy's Hall dans un tout autre contexte, rénove l'arrière-salle de son pub pour la transformer en cantine destinée aux migrants.
Chacun, de fait, a ses raisons même si en parfait disciple de Renoir, le camarade Ken Loach préfèrera toujours le camp de la générosité. Moins désespéré que ses deux précédents opus, The Old Oak va une fois de plus à l'essentiel, contrairement à ce qui nous gênait tant dans le style de son réalisateur pendant de nombreuses années, et lorsque l'émotion du propos se prolonge en utopie réconciliatrice, on est forcément conquis. Certains pourront toujours y trouver, certes, quelques branches plus fragiles que d'autres (un ou deux effets larmoyants, notamment...), ainsi qu'une arborescence désormais peu propice au renouvellement, il n'empêche que le vieux chêne résiste avec panache et sur grand écran, cela fait un bien fou.
The Old Oak, Ken Loach, en compétition officielle à Cannes, sortie en salles le 25 octobre.