Retour à Ithaque
Soirée-buffet entre désenchantement, mise à nu et approche de la cinquantaine. La Terrasse, d'Ettore Scola ? Non. Retour à Ithaque, de Laurent Cantet. Sauf que la terrasse, ici, offre une vue sur la mer. Elle surplombe le Malecón, cette longue et grouillante avenue de La Havane où, du crépuscule à l'aube, six amis se retrouvent pour fêter le retour de l'un deux après 16 ans d'exil.
C'est curieux, tout de même, un Cubain qui revient au pays des Castro et qui a l'air d'en être tout ragaillardi. Ses potes ont du mal à comprendre. Eux qui ne sont que vies volées, années bousillées... Eux qui se sont crus "le phare du monde" quand Cuba entrait dans les manuels d'histoire avant que le régime ne se fossilise dans les décombres de l'effondrement soviétique. "Laissez moi croire que j'y crois encore...", lâche en même temps Aldo, le seul Noir du groupe.
Même s'il a bénéficié, dans l'écriture du film, du concours de l'écrivain né à La Havane Leonardo Padura, on est estomaqué de voir la finesse avec laquelle Laurent Cantet a su saisir le tréfonds de l'âme cubaine, zoomant sur la rage sourde de toute une génération sans pour autant sacrifier à la carte postale anticommuniste. Cela tient-il à une envie de s'expatrier déjà à l'oeuvre dans le trop sage Foxfire, confessions d'un gang de filles ? A cet esprit de bande qui taraude sa filmographie depuis toujours ? Retour à Ithaque témoigne, à vrai dire, d'un lâcher-prise inédit chez le réalisateur d'Entre les Murs, aussi bien lorsqu'il filme l'amertume politique de ses personnages que lorsqu'il se concentre sur leurs échecs sentimentaux.
Outre l'interprétation d'ensemble, on retiendra la simplicité et l'intelligence de la mise en scène. Cette terrasse protégée par des rambardes de fil de fer est comme un no man's land entre la mer et, sur le versant opposé, la "marée de toits" qui ouvre sur la ville, envahie tour à tour par la rumeur d'un match de base-ball, l'exécution d'un cochon ou encore une dispute conjugale. Autant d'éléments qui permettent à Laurent Cantet de jouer sur les expressions des visages, les distances entre les corps, les éclats de colère, les larmes qu'on ne parvient pas à refouler...
Aussi frontal que chez Cassavetes, le dispositif s'autorise, pourtant, un dénouement qui tranche formellement avec le reste. Le jour se lève, la bande a survécu. Chacun a besoin d'être un peu seul avec lui-même pour digérer ce qui s'est dit, mais il faut montrer, en même temps, que les personnages restent ensemble. Il faut les réunir en les isolant. Tenir compte, également, qu'il y a une femme parmi eux, qu'elle n'est pas très commode, qu'elle se ne laisse pas facilement enlacer... C'est à ce moment là, avec vue sur la mer, que Laurent Cantet signe l'un des panoramiques les plus époustouflants et les plus poignants du cinéma français.
Retour à Ithaque, Laurent Cantet. Sortie le 3 décembre. Coup de projecteur, le même jour, avec le réalisateur, sur TSFJAZZ (12h30)