Nomadland
Quelle mine d'or sur grand écran, cette Amérique des laissés-pour-compte ! Dernier exemple en date, la si coriace et intrépide Fern crapahutant au volant de son vieux camping-car après avoir laissé derrière elle une usine en faillite, une ville désertée et un mari dans la tombe. Son nouveau toit, c'est son véhicule, comme tant d'autres travailleurs itinérants, âgés pour la plupart, éjectés de leur foyer lors de la crise de 2008 et vivotant de parking en parking et de petit boulot en petit boulot, notamment dans les entrepôts d'Amazon.
Chloe Zhao s'est emparée de cette odyssée avec des trésors de sensibilité. Au diapason du livre-enquête de Jessica Bruder dont elle s'est inspirée, la réalisatrice oscarisée née en Chine mais installée aux États-Unis aurait pu nous refaire Les Raisins de la colère. Elle a plutôt privilégié une dimension poétique et spirituelle qui n'est pas sans rappeler l'univers de Terrence Malick. Captés en lumière naturelle, ses plans serrés et ses grands espaces dessinent une nouvelle pastorale des "Hobos", tribu roulante et déracinée où la solidarité n'est pas un vain mot.
La quête de soi fait aussi partie de l'aventure. À plusieurs reprises, Fern refuse toute perspective d'installation, y compris lorsqu'un timide routard lui fait sa déclaration. Sauf que ce serait alors sacrifier la liberté qu'elle s'est réinventée avec si peu, dans la grande lignée des premiers pionniers tout aussi prolétarisés qu'elle qui ont fait l'Amérique. Entre deux causeries avec certains de ces nomades qui jouent ici leur propre rôle, se devine aussi un désir de combler le vide, le chagrin, l'expérience de la perte... Comme si au bout de la route germait l'espoir de retrouver l'esprit des êtres aimés et disparus.
Terrienne et lumineuse, Frances McDormand porte son personnage à un niveau de vérité qui irradie chaque plan. De Fargo à 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, ce n'est pas la première fois que cette comédienne d'exception sort tout ce qu'elle a dans les tripes. Entre l'asphalte et la glaise, elle déplace Nomadland vers une veine documentaire qui rend d'autant plus incompréhensible le choix de la bande originale. Si prenant dans The Father, le clavier de Ludovico Einaudi tire le film vers le mélo. Déplorable contresens alors même que la BO, dès que le piano-guimauve se tait, nous offre de temps en temps des notes de blues tellement plus authentiques.
Nomadland, Chloe Zhao, Lion d'or à Venise, Oscars du meilleur film et de la meilleure actrice (Sortie en salles ce 9 juin)