Nom
Même pas Au nom de..., et encore moins Nom de Dieu. Son nouveau récit, Constance Debré l'a simplement intitulé Nom. Le sien. Ou alors celui de sa famille. Ou plutôt le nom des choses, du moins celles qui comptent. C'est elle tout craché ce titre en une seule syllabe, nu et sec, sans masque, sans effet.
Bref, après Play boy et Love Me tender, le propos s'annonce encore plus acéré, comme si le type d'émotion qui imprégnait dans le précédent livre les rapports perturbés entre l'écrivaine et son fils n'était plus de saison. Seule subsiste cette sorte de douceur à vif, tant pis pour l'oxymore, avec laquelle Constance Debré regarde mourir son père. Pas de grandes phrases entre eux. Il faut "tracer " coûte que coûte tout en goûtant le restant de présence encore comestible, ou alors il n'y a plus qu'à arrêter le respirateur et se refaire une séance de nage à la piscine du coin.
Elle n'arrêtera jamais de nager, de toute façon, et certainement pas en eaux troubles. C'est son mantra aquatique depuis le coming out lesbien et la rupture avec son mari, son métier d'avocate et ses appartenances sociales. Constante Constance dans cette ascèse insatiable (les oxymores, décidément...), ce nomadisme revendiqué et ce désir de déglingue quasi-mystique donnant matière, une fois de plus, à des fulgurances d'écritures qui font encore davantage percevoir le sens d'une émancipation.
"Chacun ses réglages, ses opérations de maintien de l'ordre contre le chaos ", écrit-elle. Il faut "marcher dans le vide ", "aller vers ce qu'on ne sait pas. Sinon on ne vit pas, sinon on reste avec tout le bric-à-brac et on passe sa vie à ne pas vivre "... Seuls comptent l'acide, l'essence et le feu. De quoi jeter dans le brasier la cravate moche du grand-père qui a rédigé la Constitution du Général. De toute façon, ils sont fous les Debré, "leur folie, ils l'appellent l'État, ils l'appellent la France. Pour oublier peut-être qu'ils sont un peu juifs". Cette rage familiale a de l'allure. Le lecteur est moins à l'aise lorsqu'elle vise plus large.
Car il faut bien l'avouer, c'est un peu du déjà-vu, ce nihilisme anti-bourgeois affiché par une quinqua en mal d' "adulescence " qui peut d'autant mieux se targuer de ne pas avoir de chez soi qu'elle ne s'est jamais retrouvée à dormir dans la rue. Résultat: l'épure se dilue dans la posture, le péremptoire assomme: "Mes livres c’est expliquer ce qui se passe, et comment on doit vivre"... Chacun ses "opérations de maintien de l'ordre ", effectivement, un peu comme dans cette interview d'il y a deux ans où Constance Debré expliquait son "énorme problème " avec le jazz : "ça m'irrite, ça me donne envie de me gratter "... D'autres trouvent au contraire dans cette musique des leçons d'humilité.
Nom, Constance Debré (Flammarion)