Mardi 4 février 2020 par Ralph Gambihler

Love Me Tender

Le dos, les épaules, le regard, l'écriture. Belle constitution. Rien à voir avec celle que rédigea son grand-père. Sauf que plus rien n'est pareil. À 47 ans, Constance Debré a largué son job d'avocate, ses meubles, son train de vie, son mari. " Des pans entiers de moi-même qui tombent. Qui n'en finissent pas de tomber ". Son quotidien, désormais, c'est piscine et sexe au féminin pluriel. À part Paul qu'elle ne voit plus, tout va bien.

Paul, c'est son fils, sa blessure. Divorce, procès, interdiction de le voir. Pour les juges, une lesbienne tatouée est forcément synonyme de mauvaise mère. Mais au fait, c'est quoi une mère ? C'est quoi ce statut ? Il n'y a qu'à les observer, ces " femmes qui se disent qu'elles sont mères parce qu'elles ont des enfants ", il n'y a qu'à voir comment elles vont les "tripoter ", " les emmerder sur tout, se hausser du col de leur petit pouvoir sadique de mère, humilié-humiliant ". C'est tellement autre chose le manque de Paul, l'attente de Paul, alors qu'après avoir tant bataillé, il faut se contenter d'un droit de visite sous surveillance dans un "espace-rencontre" transformé en parloir.

Ce temps de crise autorise toutes les déconstructions. Peut-être que le mieux avec Paul, c'est de rompre, doucement, surtout quand on ne sait plus quoi se dire. Un jour, peut-être, il reviendra. En attendant, lâche la narratrice, " Mon programme, c'est le moins de propriété possible ", s'alléger au maximum, flirter avec l'insoutenable légèreté de l'être, faire que le monde devienne un " corps sans gras ". Et puis aussi composer avec ce qui reste du passé en le prenant du bon côté. Ce père toxico, par exemple, ex-prix Albert-Londres. Lui aussi il a échappé aux carcans de son nom. D'accord, il est au bout du rouleau, mais il reste arrimé à l'essentiel: les livres, deux ou trois êtres chers, l'art de penser juste.

Épure peut ainsi rimer avec aventure. À condition de garder le rythme. Deux kilomètres de crawl chaque jour, du sexe et des amourettes, ci-possible dans plein d'arrondissements différents. Surtout ne pas traînasser dans le sentimental ou le convenu. Qu'est ce qu'elles ont toutes à vouloir un chien, un appartement, des gosses ? " Je suis leur mauvaise pioche ", écrit-elle. Les phrases qui fusent de Constance Debré, sa douceur punk, ses déflagrations de rage tendre... On fuit ce genre de récit, d'habitude, sauf quand la plume, comme l'âme, est à ce point à vif, et qu'une écrivaine, tel un poète du siècle dernier, sait si bien écrire ton nom, Liberté.

Love Me Tender, Constance Debré (Flammarion). Coup de projecteur avec l'auteure, lundi 10 février, sur TSFJAZZ (13h30)