Music IS
Son humilité confirme l'évidence: Bill Frisell occupe une place majeure parmi les géants de la note bleue. Au creuset des multiples âges d'or de l'Americana et des grandes plaines du Colorado où il a grandi, ce franc-tireur de la guitare a forgé un univers qui n'appartient qu'à lui, tout en songes, en paysages et en poésie. Six cordes de fragilité et d'orfèvrerie qui méritaient bien un deuxième album solo après Ghost Town, paru en l'an 2000.
Pour accentuer encore d'avantage l'épure, il n'a choisi que ses propres compositions, puisant à la fois dans son répertoire et proposant de nouveaux titres. L'ontologie incarnée, ne serait-ce que dans l'intitulé-même de l'album, Music IS, le verbe en majuscules. Comme pour mieux ne plus s'embarrasser d'étiquettes et célébrer simplement la musique dans toutes ses audaces, tous ses bonheurs, qu'elle se revendique jazz, folk-rock, country ou bluegrass. Connectée à Vinicius Cantuaria (Lagrimas Mexicanas) ou Charles Lloyd (I Long To See You), cette palette nous avait déjà conquis. Ici, elle nous ensorcelle.
Le bagage technique y est pour beaucoup. Ayant recours à divers effets électroniques, Bill Frisell joue avec les espaces et les ellipses. C'est tout un nuancier cadencé par sa pédale de volume qui se développe à partir de ses glissandos, donnant parfois l'impression d'entendre plusieurs guitares sur un même titre. Ainsi que l'écrit Philippe Carles dans son Dictionnaire du jazz, "il semble retrouver une manière de 'vérité acoustique' métallique, comme une actualisation de la 'pedal steel guitar' des musiciens country".
Résultat: un doux alliage de tradition et de modernité dont le mode Conversations with myself amplifie les sortilèges. The Pionneers et Monica Jane prennent des couleurs encore plus pastorales que dans leurs précédentes versions, Ron Carter reste à jamais un sommet de répertoire tandis qu'au registre des nouveautés, Change in the air et Miss You prouvent que Bill Frisell regorge de merveilles dans sa malle aux trésors mélodiques, toujours au gré de cette mélancolie crépusculaire qui bouleverse, parfois jusque dans le dénuement des notes. Un disque tout en saveurs, en dernières gorgées de bière, simple et beau à la fois. Le plus accompli de son auteur, indiscutablement.
Music IS, Bill Frisell (Okey Records)