Dimanche 16 janvier 2011 par Ralph Gambihler

Lagrimas Mexicanas

Score à égalité, une fois de plus, entre le Brésil et les Etats-Unis. Après Joao Gilberto et Stan Getz en 1963, Milton Nascimento et Wayne Shorter en 1974, c'est Vinicius Cantuaria qui joue, en ce début de l'an 2011, d'exquises prolongations au côté de Bill Frisell à travers "Lagrimas Mexicanas", un album infiniment tendre et enchanteur...

Ces deux là, c'est vrai, ont déjà croisé leurs six-cordes dans le passé, mais c'était de manière très ponctuelle et au sein d'un collectif plus important. Pour la première fois, ici, ils font véritablement tandem entre deux guitares, l'une acoustique, l'autre électrique, et entre quatre yeux puisque toute la magie de ce duo -on l'a vu l'autre soir au New Morning- est d'abord liée à la qualité du regard entre le Brésilien et l'Américain. Mon premier porte donc le prénom d'un poète-diplomate. Il a déjà un sacré CV derrière lui, ne serait-ce qu'à travers sa collaboration avec Caetano Veloso. Mais depuis qu'il s'est installé à New-York, Vinicius Cantuaria semble être passé à une vitesse supérieure. Son avant-dernier album, "Samba Carioca", avait ensoleillé l'équipe de TsfJazz l'année dernière, ne serait-ce qu'à travers ce fameux "Praïa Grande" classé au top des tops côté playlist...

Mon second est d'une discrétion exemplaire quand tant de spécialistes le considèrent, avec John Scofield et Pat Metheny, comme l'un des meilleurs guitaristes contemporains. Bill Frisell, que j'avais pour ma part véritablement découvert au festival de Montréal en 2009, a plongé sa guitare aux sources mêmes du jazz mais aussi du blues, du rock, du folk et de la country. Il en a extrait des effets électroniques qui n'affadissent jamais sa sensibilité mélodique, et encore moins la subtilité de ses vibratos et les coloris de sa palette sonore...

Il y a donc bien du Frisell quelque part dans ce qui fait de "Lagrimas Mexicanas" un album supérieur à "Samba Carioca". Certes, le chant de Vinicius Cantuaria enveloppe encore une fois nos enceintes d'une chaleur et d'une mélancolie d'exception, et sa guitare n'est pas moins ensorcelante dans les rythmes et les notes qu'il a imaginés, dit-il, en se contentant de flâner dans le melting-pot hispanisant de Big Apple... Mais sur des titres comme "Mi Declaracion" ou "Aquela Mulher", on retient surtout la surimpression électrique et onirique version Bill Frisell...

Plus que d'accompagnement, c'est d'amplification dont il s'agit, et sans jamais hausser le volume, comme si l'écho de la poésie était encore plus poignant que la poésie elle-même... Au New Morning, l'autre soir, il y avait d'ailleurs un autre écho aux sérénades de Vinicius... Le percussionniste Marvaldo Dos Santos s'était joint au duo, et c'est comme si un instrument de plus faisait encore d'avantage pencher cette musique d'une douceur absolue vers le frôlement et le murmure...

"Lagrimas Mexicanas", Vinicius Cantuaria & Bill Frisell (Naïve) Sortie le 18 janvier