Samedi 31 octobre 2020 par Ralph Gambihler

Les 7 de Chicago

Le téléphone sonne. Une voix féminine répond: "Bureau du complot, j'écoute "... Elle avait de l'humour, la standardiste du QG où les sept de Chicago et leurs avocats tenaient conciliabule lors d'un procès-marathon de l'automne 1969. Eux, des conspirateurs ? C'est plutôt à la Maison-Blanche, où Nixon venait de s'installer, que fut fomentée une véritable machination judiciaire contre ces opposants à la guerre du Vietnam arrêtés en marge de la convention démocrate de Chicago l'année précédente. Objectif: les faire condamner pour incitation à l'émeute alors que c'est d'abord la flicaille de Richard Dailey, le maire de la "cité des vents " à l'époque, qui contribua à faire dégénérer la situation.

Scénario en or pour un scénariste hors pair, Aaron Sorkin, créateur de la série A la Maison Blanche et scénariste de The Social Network. Avec tout le savoir-faire d'un Steven Spielberg à qui le projet fut d'abord destiné, il éclaire avec panache les enjeux toujours actuels d'une période où la frange conservatrice du pays rêvait de faire la peau à une autre Amérique, celle de Martin Luther King et d'Angela Davis, avec derrière eux toute une génération pacifiste, progressiste et antiraciste. Il fallait faire un exemple avec les sept de Chicago, huit au départ puisque l'accusation va également faire comparaître un Black Panther, Bobby Seale, lequel n'a pourtant jamais eu de lien direct avec les autres prévenus, qu'ils soient étudiants ou hippies. Ligoté et bâillonné en pleine audience, il sera finalement exfiltré du procès pour vice de forme.

Au sein même des "Chicago Seven", tout le monde n'est pas sur la même longueur d'onde. L'étudiant Tom Hayden, futur sénateur et mari de Jane Fonda, incarne le réformisme libéral quand l'icône de la contre-culture Abbie Hoffman, auquel Sacha Baron Cohen prête tout son spleen de la dérision, anticipe déjà les lendemains qui déchantent. Également dans le box des accusés, deux jeunes hippies qui se demandent ce qu'ils font là. « Comparaître ici, lâche l'un d'eux, c’est comme être nommé à l’Oscar de la contestation. »

Oscars ou pas, casting de haute volée. Outre Sacha Baron Cohen, composition bluffante de Mark Rylance dans le rôle de l'avocat qui coordonne la défense des accusés. Tout aussi épatants, Joseph Gordon-Levitt en procureur à qui il reste encore une once d'intégrité, et surtout Franck Langella en juge qui a une manière bien à lui de diriger les débats. Malgré sa partialité abjecte, une sorte d'aura spectrale lui confère une humanité inattendue. Quel bonheur, également, de retrouver le Michael Keaton de Birdman et Spotlight dans la peau de Ramsey Clark, l'ex-ministre de la Justice qui choisit de défier ouvertement la nouvelle administration en témoignant lors du procès.

Reste la mise en scène à proprement parler. Ce n'est pas le gros point fort du film. Percutante dans la circulation des paroles (avec des dialogues vraiment punchy...), elle est beaucoup moins fluide dans l'alternance entre scènes de procès et retours en arrière sur la convention démocrate de Chicago. Il y a comme un parfum de Capra, en revanche, dans la toute dernière séquence, lorsque l'un des accusés égrène les noms de tous ceux qui sont tombés au Vietnam depuis le début du procès. Applaudissements dans la salle du tribunal. On rêve des mêmes applaudissements la semaine prochaine.

Les 7 de Chicago, de Aaron Sorkin, actuellement sur Netflix.