Le Daim
Depuis Rubber, odyssée déjantée d'un pneu serial-killer qui marquait en 2010 ses débuts fracassants, Quentin Dupieux s'est spécialisé dans les cocasseries en mode minimaliste oscillant entre humour noir et absurde. On ne sait pas vraiment où il veut en venir et l'esprit potache, même dans sa version hype, n'est jamais très loin, mais le voyage vaut souvent le détour, à l'instar de l'équipée sauvage de Georges, alias Jean Dujardin, bonhomme au bout du rouleau qui s'est mis Martel en tête en se débarrassant de quiconque ferait de l'ombre au magnifique blouson en daim pour lequel il a vidé son compte en banque.
C'est vrai qu'il vaut cher, le perfecto à franges. Georges s'en fait tout un film, au sens propre comme au sens figuré. D'autant que le vieux Caméscope offert en bonus lors de son achat s'avère être l'instrument rêvé pour s'inventer comme cinéaste art et essai, improvisant ses castings dans un village de montagne. Le déclassement et la folie font le reste. Georges vire mytho, psychopathe et... ventriloque. Son blouson en daim lui parle et rêve d'exclusivité, quitte à "revêtir" un côté Deer Hunter ("le chasseur de daims"), le fameux film de Michael Cimino plus connu sous le titre Voyage au bout de l'enfer...
On n'y croit pas un seul instant, à ce court récit (le film dure 1h20...), mais il serait dommage de bouder son plaisir. Quentin Dupieux tire à merveille les ficelles du thriller destroy. Musique hitchcockienne à l'appui, il enrobe d'une esthétique seventies ses ambiances de western poisseux tout en les abreuvant de grosses rasades d'autodérision. La barbe menaçante, Jean Dujardin compose un anti-héros arrogant, mégalo et parfois hilarant tout en expurgeant son jeu des tics qu'on lui connaît.
On n'est pas certain de le suivre lorsqu'il dit en interview s'être inspiré de la jam funèbre de Patrick Dewaere dans Série Noire d'Alain Corneau. Le lien avec Bertrand Blier -surtout celui de Buffet Froid- paraît plus convaincant. L'un avait d'ailleurs déjà dirigé l'autre dans Le Bruit des glaçons. Le Daim vaut surtout, enfin, par la présence de Adèle Haenel en serveuse-monteuse pas si naïve qu'elle en l'air. Pulpeuse, voire carnassière, mais sans jamais déserter la pâte humaine de son personnage, la comédienne trouve enfin, ici, une partition à la hauteur de ses talents. Une année en or, peut-être, en attendant Le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.
Le Daim, Quentin Dupieux, La Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Le film est sorti hier.