Alain Corneau, son rire, nos larmes...
Les soldats U.S., les films de Cassavetes et de Jerry Lewis, le jazz… A Orléans, à la fin des années 50, un jeune fils de vétérinaire devient fou d’Amérique. Il veut devenir batteur, il rencontre Albert Ayler, et même lorsqu’il bifurque vers l’Idhec, la célèbre école de cinéma, pour devenir réalisateur, Alain Corneau rêve encore de tourner un film qui donnerait la parole à Coltrane et à Archie Shepp.
Coltrane… Peut-être que Corneau a filmé Patrick Dewaere, dans "Série Noire", comme il aurait filmé Coltrane s'il avait été au bout de son projet. On est alors en 1979. Histoire de ne pas trop s'éloigner quand même de la note bleue, Alain Corneau a versé dans le film noir, quelques années plus tôt, avec notamment un Yves Montand en flic rebelle dans "Police Pyton 357". Le jeune cinéaste et le monstre sacré se retrouveront en 1980 dans "Le choix des armes", polar en acier trempé transcendé par l'un des big bands les plus époustouflants de la décennie en matière de casting (Montand, mais aussi Depardieu, Deneuve, Galabru, ainsi que Gérard Lanvin et Richard Anconina).
Avec "Série Noire", en revanche, on n'est pas dans le big band, mais plutôt dans la jam funèbre, le solo pour desperado... "C'est pas que j'm'ennuie, mais j'ai les joues qui me brûlent", balance l'ordurier patron campé par Bertrand Blier à Patrick Dewaere qui lui balance baffe sur baffe... Dans l'ombre, il y a Mona, une jeune fille pour laquelle Dewaere va se damner, pour laquelle il est condamné d'avance, dés le premier plan du film, avec cette danse d'anthologie au milieu des flaques sur "Moonlight Fiesta" de Duke Ellington... La jeune fille, c'est Marie Trintignant.
Alain Corneau s'était aussi offert son propre Lawrence d’Arabie avec "Fort Saganne". Il avait consacré un joueur de viole du 17ème siècle dans « Tous les matins du monde », qui fut son plus grand succès mais pas forcément son meilleur film. Il était allé à la rencontre de cultures lointaines dans l'énigmatique « Nocturne Indien». Les ex-jeunes loups des Cahiers du Cinéma, qui n’y connaissent rien en jazz, le détestaient, comme ils détestent Bertrand Tavernier, et c'est une honte que LCI, en guise d'hommage, ait débauché tout à l'heure Serge Toubiana.
Sur TSFJAZZ, c'est l'essayiste et critique Noël Simsolo qui est venu dans nos studios, en direct, dans le journal de 18h... On s'est souvenu, ensemble, du si beau rire d'Alain Corneau, de son enthousiasme, de sa rage presque juvénile d'Amérique et de Great Black Music, de cette complicité passionnée qui ressortait de ses propos comme s'il n'y avait aucun filtre entre lui, cinéaste célèbre, et nous, pauvres béotiens d'une radio dont il avait suivi le développement depuis le départ. Nous avons perdu un grand cinéaste, un esprit libre, un ami, et ça peut faire beaucoup plus mal, parfois, que lorsqu'on perd un musicien de jazz.
Alain Corneau (7 août 1943-30 août 2010)