Vendredi 27 mars 2015 par Ralph Gambihler

Lady in Satin : The Centennial Edition

Un siècle après la naissance de Billie Holiday, Lady in Satin existe désormais dans son "intégralité archéologique". L'expression est empruntée au toujours très pertinent Sébastian Danchin, principal contributeur au livret qui accompagne cette ultime réédition d'un disque somptueux, quoi qu'on en dise. Somptueux et douloureux à la fois. Surtout à l'écoute de certaines prises alternatives rendus publiques pour la première fois dans leur intégralité.

Matériau encombrant tout juste bon à jeter l'icône plus bas que terre ? Pas si simple. Lady Day est en souffrance, certes, dans cet album testamentaire (le dernier publié de son vivant...). Elle tousse, cherche sa voix, mémorise avec peine les paroles de ses chansons, se donne du tonus comme elle peut en vidant une grande tasse de café remplie de gin. Sauf qu'au gré de ses mêmes séances, on peut aussi entendre son humour, son sens de la coopération et sa manière d'apprivoiser un projet inédit pour elle, ainsi que le souligne le producteur de cette réédition, Michael Cuscuna.

On en revient à "l'archéologie" -autrement dit à l'idée que toute création est un processus- soulignée par Sébastian Danchin. A l'orée de l'an 58, explique-t-il, Billie reprend sa carrière en main en s'habillant de satin. Folklorisée deux ans auparavant par une autobiographie bidonnée et racoleuse, elle opte pour un grand orchestre qui fera d'autant plus ressortir, par contraste, l'authenticité de son phrasé et le blues profond qui l'irrigue.

Enjeu de classe ? Lady in Satin a tout, en effet, du plan-incrust. Une égérie du peuple afro-américain s'invite dans un univers protocolaire "tout de dorures et de stuc à la façon d’un décor Louis XV hollywoodien". Elle se la joue Sinatra, arrangements luxuriants à l'appui, mais à la différence de ce dernier, elle se regarde dans la glace. Pas question de renier la vérité tragique de son vécu ni toutes les libertés qu'elle a prises avec la bien-pensance américaine. Et pour cela elle choisit Ray Ellis, orchestrateur impétueux dont la sonorité, toujours d'après Sébastian Danchin, est "intimement liée à une époque où l'Amérique entend parer son statut tout neuf de grande puissance d’un vernis clinquant".

Il va souffrir, Ray Ellis, lors de ses sessions nocturnes. Il aura aussi des mots très durs contre Billie qu'il traite d'épave. A l'écoute du résultat final si bien tissé chez Columbia par Irving Townsend, futur co-producteur de Kind of Blue, il changera d'avis. Un certain Miles Davis saluait, à l'époque, l'album de la maturité. Il ajoutait qu'en fonction des étapes d'une vie, des chansons peuvent, soudainement, résonner autrement. Les "puristes" et les experts-comptables en fausses notes peuvent, dés lors, épiloguer comme ils veulent. Quand Billie Holiday chante You've Changed (qu'elle avait elle-même proposé à Ray Ellis), un seul verdict compte: celui de l'émotion. Elle n'en est que plus décuplée par les vertus "archéologiques" de cette réédition.

Lady in Satin: The Centennial Edition, Billie Holiday (Sony Music). Sortie le 6 avril. Sébastian Danchin sera l'invité des Lundis du Duc, sur TSFJAZZ, le 30 mars, en direct du Duc des Lombards (18h) au côté de Philippe Broussard pour son roman Vivre cent jours en un (Stock)