La polémique sur Jan Karski
Il aura donc fallu attendre plusieurs mois pour que soit enfin dévoilé au grand jour ce qu'il y a de scandaleux dans le "Jan Karski" que Yannick Haenel a publié en septembre. Il aura fallu les ruades de Claude Lanzmann pour démystifier le procédé auquel un jeune auteur sans réelle carrure a eu recours en prêtant à un personnage ayant réellement existé des pensées qui n'étaient pas les siennes.
Il faut rappeler -on l'a fait lorsque le livre est paru, mais on était bien isolé à l'époque- que Jan Karski, célèbre messager de la Résistance polonaise, apparaît sous la plume de Yannick Haenel comme un imprécateur que tout le monde refuse d'entendre. Il raconte à Roosevelt ce qui est en train de se tramer dans les camps de la mort, et Roosevelt baille ! Voilà comment, aux yeux de lecteurs non avertis, le président qui a envoyé la jeunesse américaine mourir sur les plages normandes pour libérer l'Europe se transforme en gouvernant cynique et indifférent au sort des Juifs...
Claude Lanzmann a eu raison de dénoncer cette falsification de l'histoire. On va encore lui reprocher de ne pas faire de quartiers dés que quelqu'un d'autre touche à son domaine de prédilection... On va rappeler que Spielberg avec "La liste de Schindler" ou encore Jonathan Littell avec "Les Bienvieillantes" ont également encouru les foudres du réalisateur de "Shoah", et pas toujours à juste titre... Mais comment en même temps ne pas s'indigner de ce qu'autorise aujourd'hui ce fameux "droit à la fiction"que revendiquent les partisans de Yannick Haenel ?
Ce droit à la fiction, on peut à la limite l'apprécier lorsqu'il se revendique en tant que tel... Mais dans "Jan Karski", Haenel prend beaucoup de moins de précautions pour distinguer ce qui, dans son travail, appartient à l'Histoire et ce qui relève du romanesque... C'est cette confusion qui "embrouille", comme le disait ce soir une proche de Lanzmann dans le journal de TSF... C'est la fiction en apesanteur, sans le moindre raccord avec un minimum d'acquis historiographique, qui rend furieux, surtout sur un sujet aussi dramatique que la Shoah...
Aux dernières nouvelles, Lanzmann va bientôt diffuser les rushes de son interview de Jan Karski. On y verra à quel point, effectivement, la connaissance de la Shoah pendant la guerre est un sujet complexe qui invite à un regard nuancé, sans cris et sans bâillements…